Les retrouvailles entre anciens enfants de troupe , outre la joie qu'elles procurent, donnent souvent l'occasion d'évoquer les temps anciens, à travers les textes réglementaires ,qui, modifiés au fil du temps, ont donné naissance aux écoles que nous connaissions naguère. Pour vous permettre d'en juger en toute objectivité, je propose à votre lecture le texte suivant, signé par les trois Consuls et par le Ministre de la Guerre: Lazare Carnot.
ARRÊTÉ RELATIF AUX ENFANTS DE TROUPE ET AUX FEMMES A LA SUITE DE L'ARMÉE
DU 7 THERMIDOR, AN 8.
Les Consuls de la République arrêtent,
Art I : A dater du 1er Vendémiaire prochain, il pourra être admis dans chaque Compagnie de l'Armée, deux enfants de troupe à la solde Militaire.
Art II : Il y aura deux classes dans la solde des enfants de troupe:
1°. Demi-solde, vêtement et logement;
2°. Deux-tiers de solde, vêtement, logement, pain et chauffage. Il ne pourra jamais y avoir plus de la moitié des enfants de troupe qui jouissent de la solde de la seconde classe.
Art III: Nul enfant de troupe ne sera dans aucun cas, admis à la solde de première classe, et de celle-ci ne passera à la solde de seconde classe, que sur la présentation du Chef de Corps et la décision écrite le l'Inspecteur aux Revues.
Art IV: Nul enfant de troupe ne sera admis à la solde de première classe, ou à une augmentation de solde, qu'à dater du premier jour du premier mois de chaque trimestre.
Art V: Ne seront parmi les enfant de troupe, que les enfants mâles qui auront atteint leur deuxième année, et qui seront issus de légitime mariage d'une femme attachée à un Corps Militaire en qualité de blanchisseuse ou vivandière, avec un défenseur de la Patrie actuellement en service, ou mort à a guerre, de ses blessures.
Art VI: Toutes les fois qu'il y aura une concurrence pour une place d'enfant de troupe, vacante dans la première classe, la préférence sera donnée dans l'ordre suivant:
Il ne sera présenté d'enfant de sous-officier que lorsqu'il n'y aura point d'enfant de soldat, de caporal ou brigadier admissible; d'enfant d'officier que lorsqu'il n'y aura point d'enfant de sous-officier admissible.
Dans chaque classe, on donnera la préférence:
1°. Aux enfants orphelins de père et de mère;
2°. Aux enfants orphelins de père ou de mère seulement.
Si deux ou plusieurs enfants réunissent des conditions semblables, on donnera la préférence à ceux qui auront le plus de frères ou de sœurs; et enfin, en cas d'égalité, à ceux dont les pères et les mères auront le plus de droit à la reconnaissance nationale, par leurs services.
Art VII: Les places d'enfants de troupe de la seconde classe seront données par les Chefs de Corps aux enfants de la première classe qui auront fait le plus de progrès dans la lecture, l'écriture, l'arithmétique, la natation, la course, les exercices militaires et gymnastiques, et dans un métier utile aux Armées.
Art VIII: Les enfants de troupe seront sous la surveillance directe d'un des officiers du Corps, nommé à cet effet par le Chef de Brigade. Cet officier sera secondé par deux sous-officiers et quatre caporaux ou brigadiers. L'officier, les sous-officiers et les caporaux ou brigadiers chargés des enfants de troupe , seront toujours choisis parmi les plus instruits, les plus distingués par leur conduite et par leurs mœurs. Ils seront spécialement chargés de leur enseigner à lire, à écrire, à calculer, nager, courir, etc…
Ils seront aussi chargés de leur instruction militaire et de la surveillance de leur instruction morale. Ils seront enfin chargés de veiller à ce qu'ils profitent des leçons qu'on leur donnera, pour apprendre un art ou un métier utile aux Armées. Ceux desdits officiers, sous-officiers, caporaux ou brigadiers qui se feront remarquer par un zèle éclairé et soutenu, seront désignés pour obtenir un prompt avancement.
Art IX: Dès que les enfants de troupe auront atteint leur seizième année, ils seront admis à contracter un enrôlement volontaire et dès-lors, ils jouiront de la solde entière et cesseront de compter parmi les enfants de troupe.
Art X: Les enfants de troupe qui auront fait des progrès dans la musique pourront, dès l'âge de quatorze ans, être admis dans la musique du Corps et dès-lors, ils cesseront d'être employés comme enfants de troupe et jouiront de la solde entière. Nul enfant de troupe ne pourra, avant seize ans, être employé comme tambour.
Art XI: Les maître-ouvriers attachés au Corps, seront obligés d'avoir toujours comme apprentis, chacun au moins deux enfants de troupe.
Art XII: Si, en exécution des règlements militaires antérieurs, il existait dans les Corps, des enfants de troupe précédemment admis à la solde entière, ils continueront à la toucher, mais il en sera fait mention expresse dans les Livrets de Revue.
Art XIII: Les dispositions de la loi du 30 Avril 1793, concernant les femmes à congédier des Armées, seront exécutées suivant leur forme et teneur. En conséquence, il ne pourra y avoir à la suite des Corps, que celles qui seront réellement employées au blanchissage, à la vente des vivres et des boissons. Le nombre des femmes à la suite de chaque bataillon, ne pourra, sous aucun prétexte, être porté au-delà de quatre, et de deux par escadron. Le nombre des vivandières et blanchisseuses à la suite du Quartier Général de l'Armée et des Quartiers Généraux des Divisions, ne pourra, dans aucun cas, excéder celui des Corps qui composent ladite Armée.
Art XIV: S'il existe à la suite des Corps ou des Quartiers Généraux un plus grand nombre de femmes que celui qui vient d'être déterminé, le Chef de Brigade choisira celles qui devront être attachées aux Bataillons ou Escadrons. Le Chef de l'Etat-major Général choisira celles qui devront être attachées aux Quartiers Généraux. Ils donneront la préférence à celles qui, mariées à des soldats, ou à des sous-officiers actuellement en activité de service, seront reconnues pour être en même temps les plus actives, les plus utiles aux troupes, et celles dont la conduite et les mœurs sont les plus régulières.
Art XV: Toute femme qui, actuellement à la suite d'un Corps ou d'une Armée n'aura pas été admise, ainsi qu'il vient d'être dit, en qualité de blanchisseuse ou vivandière, sera congédiée, et il lui sera donné vingt centimes par lieue pour se rendre dans son domicile, et fait défense de s'approcher de l'Armée, de plus de quatre lieues. Celles qui, ayant été congédiées, se trouveront, après une décade, dans un rayon de quatre lieues de l'Armée, seront considérées et traitées ainsi qu'il est prescrit par l'article XLII de la loi du 30 Juillet 1791.
Art XVI: Les veuves des officiers, sous-officiers et soldats qui, ayant perdu leurs maris par suite des évènements de la guerre, seront actuellement à la suite des Corps ou des Etats-majors, et qui ne seront pas conservées pour y jouir des secours qui leur sont accordés par la loi du 14 Fructidor An 6, il leur sera délivré des feuilles de route, sur lesquelles elles recevront, dans les lieux de logement militaire, le logement et la ration d'étape en nature, pour elles et pour chacun de leurs enfants qui n'auront pas été compris dans les enfants de troupe.
Les enfants orphelins de père et de mère desdits officiers, sous-officiers et soldats, qui ne seront pas placés parmi les enfants de troupe seront aussi, à la diligence des Chefs de Corps, renvoyés dans leurs domiciles respectifs, pour y jouir des secours qui leur sont accordés par la susdite loi. Il leur sera délivré une feuille de route, sur laquelle ils recevront le logement et la ration d'étape.
Art XVII: Quoique les femmes qui seront autorisées à rester à la suite des Corps et des Etats-majors, n'aient droit à aucune solde ni distribution, les Inspecteurs aux Revues ne s'en feront pas moins fournir un état désignatif de leur âge, de leur profession et de leur signalement. Ils délivreront à chacune d'elles, un extrait certifié de cet état. Cet extrait leur servira de carte de sûreté dans l'étendue de l'Armée. Celles qui ne seront point pourvues de cette carte, seront congédiées; et si elles sont, après une décade, trouvées dans un rayon de quatre lieues de l'Armée, elles seront considérées et traitées, ainsi qu'il est prescrit par l'article XLII de la loi du 10 Juillet 1791.
Art XVIII: Le Ministre de la guerre est chargé de l'exécution du présent arrêté, qui sera imprimé au Bulletin des Lois.
Le Ministre de la guerre insiste bien pour que cet Arrêté soit respecté à la lettre, à tel point que, dans une Circulaire datant du 25 Thermidor, adressée aux Généraux, aux Chefs des Armées et à tous les niveaux de responsabilités.
Il reprend les points qui lui tiennent à cœur:
- soins à apporter à l'exécution de ce texte de loi pour qu'il produise tout le bien que le gouvernement a droit d'en attendre.
- L'état nominatif des enfants admis dans les Compagnies lui est périodiquement transmis par l'intermédiaire des Inspecteurs aux Revues, afin qu'il puisse y donner son approbation.
- Il insiste sur l'article 12 de son Arrêté: leur solde doit être comptabilisée sur des documents, au niveau des Régiments.
Enfin, soucieux de la bonne exécution de ses directives, il demande à tous les destinataires de sa Circulaire:
- l'accusé de réception,
- de se conformer à ses dispositions.
Ainsi, la formation de nos devanciers, à l'aube du Premier Empire, se faisait à la dure école de la troupe.
Camarades A.E.T., lorsque nous évoquons de temps à autre les bons souvenirs de notre jeunesse, ayons une pensée émue à l'égard de nos ainés et remercions le citoyen Carnot, de nous avoir élaboré des structures et des garanties inhérentes à la condition des enfants de Troupe.