Jusqu'à la quatrième génération - ISAAC ASIMO
Jusqu'à la quatrième génération - ISAAC ASIMOV
Isaac Asimov restera-t-il parmi nous ? La question peut se poser, car il est devenu en ce moment l'écrivain américain de vulgarisation numéro un. Il a publié l'année dernière sept volumes de vulgarisation, tous meilleurs les uns que les autres. Il n'a par contre publié qu'un seul volume de science-fiction, un recueil de nouvelles non traduit en français et qui est intitulé : « Neuf lendemains ». En tout cas, puisqu'il nous reste en tiroir quelques nouvelles d'Asimov, profitons-en… Dans celle-ci, il nous conte en une veine fantastique légère l'étrange aventure sémantique d'un homme qui vit un sortilège en plein cœur de Madison Avenue, et voit se combler le fossé des générations8 .
Ce matin-là, à midi moins dix, Sam Marten commença à s'extraire du taxi. Comme d'habitude, il essaya d'ouvrir la porte d'une main, de tenir son porte-documents de l'autre – et de prendre son portefeuille de la troisième. Comme il n'avait que deux mains, cela n'était pas commode. Alors, toujours comme d'habitude, il poussa la portière du genou et se retrouva sur le trottoir sans avoir pu parvenir à pêcher son portefeuille.
Les voitures qui passaient sur Madison Avenue le frôlaient. À contre-cœur, un camion rouge ralentit puis repartit en grondant quand le feu passa au vert. Une inscription peinte en blanc sur ses flancs informait l'univers – qui s'en moquait éperdument – qu'il était propriété de F. Lewkowitz et Fils, Vêtements en gros.
Levkovich, pensa Marten dans un éclair de distraction, tandis qu'il finissait par attraper son portefeuille. Un coup d'œil au compteur tandis qu'il se fourrait son porte-documents sous le bras. Un dollar soixante-cinq cents, vingt autres cents de pourboire ; s'il payait avec deux billets d'un dollar, il ne lui en resterait qu'un seul en cas de besoin, il valait donc mieux entamer un billet de cinq.
— « O.K., » dit-il, « rendez-moi trois dollars quinze, mon vieux. »
— « Merci, » répondit le chauffeur machinalement en rendant la monnaie.
Marten fourra les trois billets dans son portefeuille, rangea celui-ci, prit son porte-documents et se mit à fendre le flot humain sur le trottoir jusqu'aux portes de verre du bâtiment.
Levkovich ? songea-t-il tout à coup, en s'arrêtant net. Un passant lui jeta un coup d'œil intrigué.
— « Excusez-moi », murmura Marten, en se dirigeant vers la porte.
Levkovich ? Mais ce n'était pas cela qui était écrit sur le camion.
Le nom s'écrivait Lewkowitz (prononcer Loukohitz). Alors pourquoi donc avait-il pensé Levkovich ? En admettant que ses lointaines connaissances scolaires de l'allemand lui eussent fait changer les w en v, où diable avait-il pris cet « ich » ?
Levkovich ? Et puis, assez avec cette histoire ; s'il s'y mettait, cela allait le poursuivre comme une rengaine de foire.
Les affaires. C'était d e cela qu'il fallait s'occuper. Il venait pour un déjeuner d'affaires avec ce type, Naylor. Ce qu'il devait faire, c'était faire de ce client virtuel un client réel, et ainsi commencer, à 23 ans, la belle et facile carrière commerciale qui, suivant ses plans, lui permettrait d'épouser Élisabeth d'ici deux ans et de s'établir dans un quartier résidentiel, à la tête de sa famille, d'ici dix.
L'air ferme et sévère, il pénétra dans le hall et se dirigea vers les ascenseurs, jetant au passage un coup d'œil au tableau de l'immeuble.
Il avait cette habitude un peu puérile d'essayer de saisir au vol les numéros d'appartement sans même ralentir ou (comble de l'horreur) s'arrêter complètement. Sans une hésitation dans sa démarche, pensait-il, il parvenait à donner l'impression qu'il était de la maison, qu'il connaissait son chemin, et c'était important pour quelqu'un dont le travail était d'avoir des rapports avec d'autres êtres humains.
Le nom qu'il cherchait, c'était « Kuisinette ». Le mot l'amusait. Une maison spécialisée dans la production de petits appareils pour la cuisine, parvenant à trouver un nom à la fois explicite, féminin, aguicheur…
Il commença aux M et remonta la colonne, tout en marchant. Mandel, Lusk, Lippert éditions (deux étages), Lafkowitz, Kuisinette. C'est cela. 1024, au 10e. O.K.
Et puis, en fin de compte, il s'arrêta net, se retourna à contre-cœur pour contempler le tableau, s'en rapprocha, et le regarda comme s'il avait été un vulgaire provincial.
Lafkowitz ?
Quelle drôle d'orthographe !
C'était parfaitement clair. Lafkowitz, Henry J., 701. Avec un a. Ce n'était pas cela. Inutile.
Inutile ? Pourquoi : inutile ? Il secoua vivement la tête comme pour la débarrasser d'un brouillard. Saperlipopette, qu'est-ce que ça pouvait lui faire, l'orthographe de ce nom ? Il repartit, fronçant les sourcils, furieux, se précipitant vers un ascenseur dont la porte lui claqua au nez, le laissant tout déconfit.
Un autre ascenseur s'ouvrit, et il y pénétra rapidement. Il mit son porte-documents sous son bras et tâcha de prendre l'air vif et intelligent du parfait agent commercial. Il fallait qu'il fasse bonne impression à Alex Naylor. Jusqu'ici, il n'avait eu avec lui que des relations téléphoniques. S'il se mettait à rêver à des Lewkowitz et à des Lafkowitz…
L'ascenseur, après une montée silencieuse, s'arrêta au septième. Un jeune garçon en manches de chemise descendit, portant un objet qui devait être un tiroir de bureau contenant trois cafés et trois sandwiches.
À ce moment, tandis que les portes se refermaient, Martin aperçut un panneau de verre dépoli portant en noir la mention : « 701 : Henry J. Lefkawitz – Importations », mais l'inexorable fermeture des portes le rejeta en arrière.
Tout excité, Marten se pencha en avant. Il fut tenté de demander : « Redescendez-moi au 7e. »
Mais il y avait d'autres personnes dans la cabine. Et, après tout, il n'avait aucune raison de le faire.
Et pourtant, il se sentait tout émoustillé. Le panneau était inexact. Ce n'était pas un A mais un E. On avait dû charger quelque idiot de domestique illettré de placer un paquet de petites lettres sur le panneau.
Lefkowitz. Ce n'était toujours pas ça, pourtant.
À nouveau il secoua la tête. C'était la seconde fois que cette pensée lui venait. Qu'est-ce qui « n'était pas ça » ?
L'ascenseur s'arrêta au dixième et Marten descendit.
Alex Naylor, de « Kuisinette », s'avéra être un rude bonhomme entre deux âges au visage vermeil couronné de cheveux blancs et au large sourire. Il avait les mains sèches et rêches, et tout en lui donnant une poignée de main extrêmement énergique, il posa la main gauche sur l'épaule de Marten, en signe de ses dispositions amicales.
— « Je suis à vous dans deux minutes, » dit-il. « Que diriez-vous de déjeuner dans l'immeuble même ? Il y a un excellent restaurant, et le barman sait faire de bons martinis. Ça vous va ? »
— « Tout à fait ». Les réserves d'enthousiasme de Marten étaient quelque peu réduites, pourtant il réussit à en puiser un peu.
Les deux minutes en furent plutôt dix, et Marten attendit avec l'impression de malaise qu'on a en général dans un bureau qui n'est pas le vôtre. Il contempla la tapisserie des chaises et le petit rabicoin où se tenait une jeune standardiste qui avait l'air de périr d'ennui. Il regarda les tableaux sur le mur. Il fit même une tentative sans conviction pour feuilleter une revue professionnelle sur la table à côté de lui.
La seule chose qu'il ne fit pas, ce fut de penser à Lev…
Il n'y pensait pas. Vraiment pas.
*
* *
Le restaurant était bon. Plus exactement, il l'aurait été si Marten avait été parfaitement à son aise. Heureusement, il pouvait se sentir libéré de l'obligation de diriger la conversation. Naylor parlait vite et fort. Il jeta un coup d'œil averti au menu, recommanda les œufs Bénédict, et se livra à des commentaires sur le temps et les difficultés de la circulation.
De temps en temps, Marten essaya d'en sortir, de cesser d'avoir ainsi l'esprit ailleurs. Chaque fois, il se retrouva incapable de fixer ses idées. Quelque chose n'allait pas. C'était ce nom. Il lui barrait le chemin de ce qu'il devait faire.
De toutes ses forces, il tenta de briser ce mur de démence. Pris d'une sorte de frénésie verbale, il mit sur le tapis la question des fils électriques. C'était idiot ; le moment n'était pas venu, la transition était trop brusque.
Mais le déjeuner était excellent ; le dessert arrivait ; Naylor fut aimable.
Il admit qu'il n'était pas satisfait de ses fournisseurs actuels. En fait, il s'était intéressé à la firme Marten, et oui, vraiment, il lui semblait qu'il y avait des chances, de sérieuses chances à son avis, pour…
Une main se posa sur l'épaule de Naylor, tandis qu'un homme passait derrière lui. « Comment va le gosse, Alex ? »
Naylor leva les yeux, avec un éclatant sourire de commande : « Hé, Lefk, comment vont les affaires ? »
— « Pas à me plaindre. Je vous verrai au…» il disparut.
Marten n'écoutait plus. Il se leva à moitié et sentit ses genoux trembler. « Qui était cet homme ? » demanda-t-il anxieusement. Sa voix eut un ton plus péremptoire qu'il n'aurait voulu.
— « Qui ? Lefk ? Jerry Lefkovitz. Vous le connaissez ? » Naylor, très froid et étonné, regardait son voisin de table.
— « Non. Comment est-ce que ça s'écrit ? »
— « L-E-F-K-O-V-I-T-Z, je crois. Pourquoi ? »
— « Avec un v ? »
— « Non, un f… Ah ! si, il y a un v dedans, aussi. » Presque toute cordialité avait disparu de son visage.
Marten continua : « Il y a un Lefkowitz dans l'immeuble. Avec un W. Vous savez : Lef-KOW-itz. »
— « Ah ? »
— « Bureau 701. Ce n'est pas le même ? »
— « Jerry ne travaille pas dans cet immeuble. Il a son bureau en face. Je ne connais pas l'autre. C'est un vaste immeuble, vous savez. Je ne note pas l'adresse de tous ceux qui y vivent. À quoi rime cette histoire, au fait ? »
Marten secoua la tête et se rassit. Il ne savait pas à quoi cela rimait. Tout au moins, il ne pouvait vraiment pas l'expliquer. Il ne se voyait pas disant : « Je suis hanté aujourd'hui, hanté par tous les Lefkowitz de la création. »
— « Nous parlions fils, » dit-il.
Naylor reprit : « Oui. Eh bien, comme je vous le disais, j'ai pensé à votre maison. Il faut que j'en parle aux types de la production, vous comprenez. Je vous tiendrai au courant. »
— « Bien sûr, » dit Marten, abominablement déprimé. Naylor ne le tiendrait pas au courant. L'affaire était loupée.
Et pourtant, au milieu de cette impression d'effondrement, il se sentait toujours aussi agité.
Au diable Naylor. Tout ce que Marten désirait, c'était en finir avec lui et continuer cette affaire. (Continuer quelle affaire ? Mais la question n'était qu'un murmure. La part de lui-même qui posait les questions reculait, se mourait…)
Enfin le déjeuner tirait à sa fin. Ils s'étaient salués comme des amis de toujours réunis après une longue séparation, ils se quittèrent comme des étrangers.
Pourtant Marten se sentit soulagé.
Il sortit, le cœur battant, se frayant un chemin parmi les tables, quitta l'immeuble hanté pour la rue non moins hantée.
Hantée ? Mais c'était Madison Avenue, à une heure vingt minutes, par une belle après-midi du début de l'automne, avec un soleil brillant et dix mille hommes et femmes bourdonnant comme une ruche le long de son ruban rectiligne.
Pourtant Marten sentait qu'elle était hantée. Il mit son porte-documents sous son bras et, désespérément, se dirigea vers le Nord. Avant de rendre le dernier soupir, l'être normal en lui lui rappela qu'il avait un rendez-vous à 3 heures dans la 36e rue. Tant pis. Il poursuivit son chemin. Vers le nord.
*
* *
À la hauteur de la 54e rue, il traversa l'avenue et se dirigea vers l'occident, puis stoppa net pour regarder en l'air.
Sur la fenêtre, trois étages plus haut, il y avait une enseigne. Il n'avait aucun mal à la déchiffrer : A.S. Lefkewich, expert comptable.
Avec un F, et un EW. Oui, mais c'était la première fois que le nom se terminait par « ich ». La première fois. Il « brûlait ». Il se dirigea à nouveau vers le nord, dans la 5e avenue, parcourant à grand pas les rues sans réalité d'une ville sans réalité, haletant à la poursuite d'un mystérieux quelque chose, et autour de lui, la foule perdait toute consistance.
À la fenêtre d'un rez-de-chaussée, une enseigne : M.R. Lefkowicz, docteur en médecine.
Des lettres dorées en demi-cercles, sur la vitrine d'une confiserie : Jacob Levkow.
(« La moitié d'un nom, » pensa-t-il avec rage. « Qu'est-ce qu'il a à m'embêter avec des moitiés de noms ? »)
Maintenant les rues étaient vides. Il n'y rencontrait plus que la tribu changeante des Lefkowitz, Levkowitz ou Lefkovicz.
Il se rendit vaguement compte qu'il était devant le parc, une masse verte, inanimée, comme un décor peint. Il se dirigea vers l'ouest. Du coin de l'œil, il aperçut un bout de journal qui volait, la seule chose qui bougeât dans ce monde mort. Il vira de bord et se baissa pour le ramasser, sans même ralentir le pas.
C'était un journal yiddish, une demi-feuille.
Il ne savait pas le yiddish, il ne pouvait déchiffrer les caractères hébreux mal imprimés, et il n'aurait pu les lire même s'ils avaient été nets. Mais il y avait un mot qui était net, imprimé en noir au milieu de la page, chaque lettre parfaitement lisible. C'était le nom Lefkovitsch, il le sut tout de suite, et en le prononçant à mi-voix pour lui-même, il mit l'accent sur la seconde syllabe : Lef – KOU – vich.
Il lâcha le papier, qui se remit à voltiger, et pénétra dans le parc désert.
Les arbres étaient immobiles, les feuilles avaient de bizarres façons de pendre, comme si on les eût arrêtées en plein mouvement. Le soleil pesait sur lui comme un poids mort, sans le réchauffer.
Il courait sans que ses pieds soulèvent de poussière. Il posa le pied sur une touffe de gazon, et son poids n'en courba aucun brin.
*
* *
Sur un banc était assis un vieillard. C'était le seul être humain dans le parc désolé. Il avait un chapeau de feutre noir, et une visière protégeait ses yeux du soleil. Des touffes de cheveux gris s'en échappaient. Sa barbe en bataille atteignait le bouton du haut de son épais pardessus. Son vieux pantalon avait des pièces et ses chaussures usées, déformées, ne tenaient plus que par les chiffons qui les maintenaient.
Marten s'arrêta. Il avait du mal à reprendre son souffle. Il ne put dire qu'un seul mot, et ce mot posa la question qui lui brûlait les lèvres : « Levkovich ? ».
Il restait là, debout, et le vieil homme lentement se levait ; des yeux noirs et usés le scrutèrent de tout près.
— « Marten, » fit le vieux dans un soupir. « Samuel Marten. Vous êtes venu. » On eût cru entendre une bande magnétique utilisée deux fois, en surimpression, car sous l'anglais, Marten pouvait entendre le faible murmure d'un langage étranger. Sous le « Samuel », il y avait l'ombre muette de « Schmue-el ».
Les mains rugueuses, aux veines bleues, du vieillard, se tendirent vers lui, puis eurent un recul, comme s'il avait eu peur de le toucher.
« J'ai cherché et cherché, mais il y a tant de monde dans cette ville farouche et qui attend encore de naître. Il y a tant de Martin, de Martine, de Morton, de Merton. Je me suis arrêté quand j'ai trouvé de la verdure, mais un instant seulement – je n'aurais pas voulu commettre le péché, le péché de perdre confiance. Et alors, vous êtes venu. »
— « C'est moi, » dit Marten, et il était sûr de ne pas se tromper. « Et vous, vous êtes Phinehas Levkovich. Pourquoi sommes-nous ici ? »
— « Je suis Phinehas ben Jehudah, et on m'a imposé le nom de Levkovich quand un oukase du Tsar a ordonné que tout le monde ait un nom de famille. Et nous sommes ici, » dit doucement le vieil homme, « parce que j'ai prié. Alors que j'étais déjà vieux, Leah, ma fille unique, l'enfant de ma vieillesse, est partie pour l'Amérique avec son mari, abandonnant les knouts du passé pour l'espérance de l'avenir. Et mes fils sont morts. Et Sarah, mon épouse bien aimée, il y a longtemps qu'elle est morte ; et je suis resté seul. Et le temps est venu où moi aussi je dois mourir. Mais je n'ai pas revu Leah depuis qu'elle est partie pour un pays lointain, et je n'ai eu que bien peu de nouvelles. Mon âme avait soif de voir les fils qu'elle avait conçus ; des fils de ma chair ; des fils en qui mon âme pourrait continuer à vivre, sans jamais mourir. »
Sa voix était ferme. L'ombre muette sous ses paroles, c'était l'écho majestueux d'un langage antique.
« Et j'ai reçu une réponse ; et deux heures m'ont été données, pour que je puisse voir le premier fils de ma lignée qui soit né dans un pays nouveau et dans une époque nouvelle. Oh ! fils de la fille de la fille de ma fille, t'ai-je trouvé, ainsi, dans la splendeur de cette ville ? »
— « Mais pourquoi, pourquoi cette quête ? Pourquoi ne pas nous avoir mis en présence tout de suite ? »
— « Parce qu'il y a de la joie dans l'espoir et dans la quête, mon fils, » dit le vieil homme, rayonnant, « et de la joie dans les retrouvailles. J'ai reçu deux heures pour ma quête, deux heures pour mes retrouvailles… et voici que tu es ici, et que j'ai trouvé ce que je n'avais pas espéré voir de mon vivant. » Sa vieille voix était pleine de tendresse. « Tout est-il bien pour toi, oh ! mon fils ? »
— « Tout est bien, mon père, puisque je t'ai trouvé, » dit Marten en tombant à genoux. « Donne-moi ta bénédiction, ô mon père, pour que tout soit bien pour moi dans tous les jours de ma vie, et pour celle que je vais prendre pour épouse, et pour les enfants qui sont encore à naître de ta race et de la mienne. »
Il sentit la vieille main se poser doucement sur sa tête. Il n'entendit plus que l'ombre muette d'un murmure.
Marten se releva.
Avec anxiété, le regard du vieil homme le contemplait. Avait-il du mal à le voir encore ?
— « Maintenant je vais en paix vers mes pères, mon fils, » dit le vieillard, et Marten se retrouva seul dans le parc désert.
En un instant le mouvement revint, le soleil reprit sa tâche interrompue, le vent ressuscita – et puis tout disparut…
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* *
À midi moins dix, Sam Marten commença à s'extraire du taxi et se retrouva sur le trottoir, toujours en train d'essayer de repêcher son portefeuille, tandis que les voitures passaient autour de lui.
Un camion rouge ralentit, puis repartit. Une inscription peinte en blanc sur son flanc annonçait : F. Lewkowitz et Fils, Vêtements en gros.
Marten ne l'avait pas vue.
(Traduit par Anne Merlin.)
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Les activités du Club Futopia.
Comme chaque année, le Club Futopia propose à une audience plus large que celle formée par ses adhérents un numéro hors-série d'Ailleurs. Après une traduction nouvelle du célèbre « Qu'était-ce ? », de Fitz-James O'Brien (reprise dans « Fiction » n° 81), « Un présent pour l'avenir », anthologie de contes américains inédits, et « La ville du ciel », de Pierre Versins, il s'agit cette fois d'un classique introuvable, publié en 1723 sous le titre de :
RELATION D'UN VOYAGE
DU PÔLE ARCTIQUE
AU PÔLE ANTARCTIQUE,
PAR LE CENTRE DU MONDE.
L'auteur en est resté anonyme, mais la postérité de ce récit à l'atmosphère par moment lovecraftienne est innombrable.