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Olivia par HENRI DAMONTI

Olivia par HENRI DAMONTI 
 
La publication de la première nouvelle d’Henri Damonti, « Lettres à Juliette »(7), nous a valu beaucoup d’encouragements et quelques critiques (certains lecteurs trouvant l’histoire « grotesque »). Nous reconnaissons que les œuvres de ce nouveau venu ne sont peut-être pas tout à fait au point, mais elles ont un « cachet » qui nous les rend attachantes : un style elliptique limpide, et un ton à la fois poétique et fantasque qui permet à l’auteur, comme ici, d’entamer une méditation légère sur des thèmes graves – tels que la mort et l’oubli. 
 
JE suis mort lundi dernier vers trois heures de l’après-midi, alors que je venais de faire un cours sur Diderot à la Faculté. Comme de juste, je fus écrasé par un camion militaire que je n’avais pas vu venir de la gauche. Sans doute, je pensais à Olivia. J’y pensais trop les derniers jours, et dans un rêve une femme inconnue m’avait d’ailleurs fait savoir qu’il allait m’arriver un événement surprenant. Quand je parle de lundi dernier, il ne faut pas croire que c’est ce tout dernier lundi, tout ce que je sais est que je suis mort un lundi. Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Il a fallu que je me voie mort et que j’entende les sanglots de ma femme et de mes fils pour commencer à y croire ; quand on aime Olivia, peut-on croire à la mort ? 
C’est à toi, Olivia, que je parle. Peut-être comprendras-tu mieux que moi toutes les choses qui me sont arrivées après la mort. Moi, je suis en voyage depuis des années. Hier soir encore j’étais à Amsterdam à choisir une lampe chez un antiquaire. J’ai dit au marchand que j’étais spécialement venu de Paris à Amsterdam pour acheter une lampe en bronze doré, Olivia en a envie vous comprenez monsieur. Demain, je serai à Syracuse où tu es née, je verrai peut-être ta mère, et je regarderai ses yeux qui ont la couleur des tiens, tu me l’as dit. Je ne te verrai plus jamais, Olivia. 
Avant ma mort, j’avais une femme. Elle s’appelait Eve. C’est avec elle que je devrais être maintenant. J’avais deux fils, Robert qui avait vingt ans et Louis mon préféré, qui avait seulement dix-huit ans, mais qui était plus sensible et selon moi plus intelligent que son frère. 
C’est Eve qui me dit que tu existais. C’était aussi un lundi. Je montrais à mon petit Louis des reproductions de peintures de Raoul Dufy. Eve souriait. Robert sous la lampe verte écrivait une lettre que j’aurais voulu lire ; puis Eve dit : « Il y a de nouveaux locataires au second, » Notre appartement était au troisième. Eve ajouta : « C’est un couple sympathique. Lui, c’est un ingénieur qui travaille à la Télévision. Elle, c’est Olivia. » Tu en sais des choses, ma vieille. Olivia, quel nom ! Louis qui écoutait dit que Olivia était un nom qui donnait à rêver, Comme j’avais envie de rêver, je rêvais déjà de toi. Eve avait appris tout cela par le facteur qui disait qu’il n’avait jamais vu une femme aussi belle qu’Olivia, oh ! elle a des yeux noirs et des lèvres… Une semaine, nous devions apprendre que ton mari s’appelait Étienne. C’est d’abord lui que je vis dans l’escalier, avec sa pipe, sa mèche blonde, son pull bleu, Étienne mille fois plus beau que moi. Toi, je te vis plus tard. Après Louis et Robert. Après Eve. « Elle vient du Chili, » dit Robert, « Ça se voit. » – Ça se voit à quoi ? demanda Louis. – Ça se voit. – Louis prétendait que la nuit, Olivia, tout le monde chez nous l’appelait déjà Olivia, jouait du piano. Oh ! papa, des romances du Chili. Robert avide de certitudes avait décidé que tu venais de Valparaiso après avoir commis un crime parfait. Quelle imagination ! Un crime parfait ! « Mais justement, » précisa Louis, « tu ne comprends rien, maman. Olivia est silencieuse, elle monte silencieusement les escaliers, elle nous salue tout juste de la tête, elle est triste et la nuit, vers une heure, elle revoit son crime et elle joue des romances pour oublier. » 
Je ne t’ai pas trouvée belle tout de suite. Le soir où je te vis pour la première fois, je voulais savoir si Eve te trouvait belle. Tu sais qu’Eve ne se trompe jamais. Peut-être trop mince, mais rassure-toi, elle est belle ton Olivia. Quelques jours plus tard ce furent les vacances les plus belles sans doute de ma vie avec Eve. Robert et Louis étaient partis camper avec des amis sur la Côte. Pour Louis, j’avais toujours peur, mais l’idée d’être seul un bon mois me décida à l’autoriser à suivre son frère. Eve et moi, prîmes une chambre dans un petit hôtel de l’île Saint-Louis où nous avions habité, des années avant. C’était une vie merveilleuse de rêveries, de lectures jusqu’à l’aube, de longues heures passées à danser pressés l’un contre l’autre, sans rien se dire. Avec Eve pourtant je dansais pour la dernière fois de ma vie, et lui disais adieu. J’avais décidé de consacrer septembre à faire un travail sur Rousseau et la sensibilité moderne. Mais c’est en septembre que j’ai commencé à t’aimer. Eve n’a jamais rien su de tout cela. Elle croyait que je l’aimais toujours. Louis avait vu tout de suite. Qu’est-ce que tu as, Papa ? On dirait que tu as mal. J’avais très mal et je cherchais un moyen pour te parler. 
Quelquefois, quand Eve n’était pas là, je sortais sur le palier espérant que tu sortirais aussi. Que pouvais-je être pour toi ? Un professeur à la Faculté, bon père, bon époux. Et Étienne, dis, tu l’aimais ? Un jour, j’ai laissé couler le robinet de la salle de bains. Puis je me précipitai pour te demander anxieusement s’il n’y avait pas une inondation, je suis tellement confus, madame, ma femme a oublié de fermer le robinet. Ce fut Étienne qui m’ouvrit la porte. J’ai balbutié. Il dut avoir une piètre idée du professeur que j’étais. Prévenant, il insista pour voir le robinet de près. Vous comprenez, monsieur, on ne peut pas toujours attendre le plombier. D’un geste de technicien, il ferma l’innocent robinet et pour qu’Eve n’en sache rien, je n’eus plus qu’à essuyer. Je m’imaginais pourtant qu’Étienne te raconterait cela et que tu comprendrais ma ruse. Mais pourquoi devais-tu comprendre ? Le lendemain Louis me dit : « Olivia, elle est belle, non ? » 
— « Oui, elle est belle. » 
— « Dis, papa, elle est plus belle que maman ? » 
— « Olivia est une dame différente. » 
— « Qu’est-ce que ça veut dire, une dame différente ? » 
Je n’en savais pas plus que Louis. Chaque fois que je te voyais avec Étienne, rieuse, pensive ou triste comme souvent, je me croyais mourir. 
Je m’efforçais de trouver ma jalousie banale, absolument conforme aux descriptions de Proust ou de Dostoïevski, on n’invente rien Olivia, mais je n’étais ni Swann ni le Prince Muychkine et je t’aimais sans rien comprendre, espérant une miraculeuse lettre de toi, t’attendant au coin de la rue, méditant des projets insensés de fuite vers Valparaiso avec toi qui m’aimais peut-être aussi. 
Un soir que j’allais voir Louis dans sa chambre, il me lança brusquement : 
— « Tu voudrais être à la place de l’ingénieur ? » 
— « À quoi rêves-tu, Louis ? Tu es fou. » 
— « Moi, » dit Louis, « je voudrais être à la place de l’ingénieur, pour aimer Olivia tout seul. » 
J’essayai de parler d’autre chose. Mais Louis ajouta sans faire attention à ce que je disais : « Si on partait tous les trois ? » Louis avait rêvé pour moi. Je désirais être comme Étienne, grand, blond, de vingt ans plus jeune, et te serrer contre moi toutes les nuits, Olivia comme tu étais belle, comme tu étais belle. J’ai pourtant vraiment essayé de te parler, quelques jours avant le lundi. Je m’aperçus que j’attendais l’autobus avec toi, au bout de la rue, dis, tu te souviens ? 
Je soulevai mon chapeau. Je crois que tu as souri. 
— « Il n’est pas pressé aujourd’hui, l’autobus. » 
— « Mon Dieu, non. » 
Tu n’as pas dit autre chose et d’ailleurs l’autobus m’empêcha d’inventer un autre prétexte, déjà il glissait le long de la chaussée. Je m’assis loin de toi et pris de peur je descendis à la station suivante sans me retourner. Le dernier dimanche avant ma mort je t’ai écrit une lettre. Tu ne l’as jamais reçue et je l’ai perdue. Il y avait quelques mots : « Olivia, je vous aime et je veux partir avec vous ce soir encore, dites-moi si vous voulez aussi. » 
À trois heures de l’après-midi un camion m’écrasa. Toute ma vie, j’ai vécu avec l’idée de me faire écraser par une voiture, cela devait donc arriver. 
La dernière image qui monta dans ma mémoire, ce ne fut pas la tienne, Olivia, mais celle d’Eve quand elle était une petite fille avec un tablier à carreaux. Tu ne savais pas ? J’ai rencontré Eve quand elle avait six ans ; j’en avais sept. Je n’ai même pas eu mal, je voyais surtout des lumières changeantes autour de moi. 
Puis alors, je ne sais plus. Je me suis retrouvé soudain de l’autre côté de la rue, je me sentais infiniment reposé et sur l’instant je ne savais même pas que je venais d’être écrasé et que j’étais mort. Je regardai ma montre, elle marquait onze heures. Je ne comprenais pas. La porte de la maison était ouverte, je montai l’escalier en pensant à toi. Je n’ai même pas trouvé étonnant que la porte de mon appartement fût aussi ouverte. C’est alors que j’ai eu peur. Le premier que je vis, ce fut mon petit Louis avec une veste qui ne lui allait pas et qui pleurait. Mais qu’est-ce que tu as, Louis ? Il fit semblant de ne pas me reconnaître. J’ouvris la porte de la chambre à coucher et je me vis étendu sur le lit, pâle, les joues enfoncées, les yeux clos. Eve même pas habillée de noir était assise prostrée et déchirait un petit mouchoir. Eve, qu’est-ce qu’il y a ? Eve leva les yeux vers moi. Eve, c’est moi, regarde, je ne suis pas mort. Sans entendre ce que je disais, elle me tendit la main et dit : « Merci, monsieur. » Dans la glace je vis un homme jeune, aux cheveux blonds, et je vis que cet homme c’était moi. J’étais Étienne, puisque j’avais voulu le devenir ; Étienne, le vrai Étienne, celui qui allait pouvoir serrer Olivia contre lui jusqu’à la fin des temps. Une seconde plus tard, j’étais de nouveau sur le palier, et je m’enfuis de la maison. Étienne, je suis Étienne, je t’aimais tant, Olivia, que je ne regrettais ni ma mort ni les larmes de ma femme, un sang violent me battait aux tempes, j’étais Étienne, mais je n’étais que son corps, je ne savais rien de ce que savait Étienne et je devais vivre avec toi. 
Tu m’as ouvert la porte sans même me regarder. Tu avais ce jour-là ta robe grise à col rouge brique. J’ai crié : « Bonjour, Olivia, je rentre plus tôt aujourd’hui. » J’ai voulu te serrer contre moi comme Étienne devait le faire, mais tu t’es si vite dégagée que je n’en devinais pas la cause. « Qu’as-tu ? » 
— « Mais toi, qu’est-ce que tu as, Étienne ? » 
— « Tu sais que le prof du troisième est mort. » 
— « Tu me l’as déjà dit hier. » 
— « Olivia, je veux que tu me croies, » mais à cet instant je me sentais déjà perdu. 
— « Pourquoi m’appelles-tu Olivia ? » 
Le soir, je devais apprendre que tu ne t’appelais pas Olivia et que tu n’avais jamais été à Valparaiso. J’ai appris aussi que tu n’aimais plus Étienne. Qu’avais-je à faire alors de ma jeunesse, de ma vie brûlante, et de l’automne le plus beau du monde, celui qui devait être l’automne d’Olivia ? 
J’appris aussi le lendemain qu’Étienne n’était pas ingénieur à la Télévision, mais garçon de café dans un restaurant de luxe. Au lieu de préparer mon cours sur Rousseau, je me mis à servir des potages, des entrées et des mets compliqués à de vieilles Anglaises qui me disaient tous les jours que je devais coucher avec elles. Étienne le faisait, je crois, mais c’est avec ton argent que vous viviez. Tu avais rencontré Étienne à un voyage en Italie organisé par une agence et pour le pull bleu, les yeux bleus, les belles mèches sur le front, tu as quitté Syracuse et ta mère. 
Je t’aime pourtant, Olivia, et je ne suis pas Étienne. Je ne pouvais pas te dire la vérité, m’aurais-tu compris ? Un jour plus tard tu disparus. Ce sont des choses anciennes et depuis j’ai fait l’amour avec d’autres femmes et j’ai cru en aimer quelques-unes, mais c’est toi que je cherche puisque c’est pour toi que je suis mort. Je ne sais pas si toutes les morts se ressemblent, chacun doit avoir la sienne avec ses surprises, moi ma mort c’était de devenir Étienne non aimé par toi. 
Pendant ta disparition, je veillai à ce qui se passait chez ma femme et mes enfants. Louis seul pleura quelques jours. Eve ne porta pas le deuil, pourtant je sais que ma mort la déchira. Robert resta comme d’habitude, froid et décidé. Un soir je les entendis parler de mon carnet vert. J’avais un carnet vert sur lequel je notais pêle-mêle des réflexions de mes enfants, des comptes divers, des adresses et même des plans de cours. Louis voulait ce carnet, mais personne ne le retrouvait. Il était pourtant dans le tiroir de la bibliothèque. Louis pleura. On ne retrouva rien. Le lendemain, je vis Louis dans l’escalier et lui présentai mes condoléances. 
— « Mon père, » dit Louis, « m’a quelquefois parlé de vous. » 
— « Je ne lui ai pourtant parlé qu’une fois. » 
— « Il trouvait que votre femme était admirable. » 
Je le brusquai presque méchamment : 
— « Oh ! ma femme, vous savez… » 
— « Mon père la trouvait admirable. Je vous assure. » 
Ainsi Louis voulait que, même après ma mort, Olivia sût que je l’aimais. 
Une idée soudaine me fit rédiger, sur un bout de papier que je glissai dans la boîte aux lettres d’Eve : « Le carnet vert est dans le tiroir de la petite pièce. Le carnet est pour Louis. » 
Est-ce qu’ils devinèrent que mon esprit n’était pas mort ? Mais en vérité, je fis ce geste davantage par jeu que par intérêt véritable pour Louis ; je ne pensais qu’à toi. Bientôt je sus que tu n’étais pas partie seule. Il y avait un pianiste aux yeux gris. 
Je me souviens parfaitement de cette soirée au Grand-Théâtre. Tu étais assise au premier rang, Olivia, et tu portais un collier de pierres fines que je ne te connaissais pas le jour de ton départ. Tes oreilles étaient dégagées, tu souriais, et quand je me suis approché de toi, brisé de fièvre, frissonnant, tu fis semblant de ne pas me reconnaître, « Olivia, tu vois, je suis là. » 
— « Laissez-moi, monsieur. » 
Tu dis cela presque à haute voix. Je dus regagner ma place. Ton pianiste ne jouait que pour toi. Pendant le concerto de Beethoven je décidai de le tuer et vite. Après le concert, je m’introduisis de force dans sa loge. 
Il était seul. 
— « Vous-aimez Olivia, monsieur ? » 
— « Qui ? » 
— « Olivia. » 
— « Que faites-vous ici, monsieur ? » 
Je sortis alors mon revolver, mais avant que j’aie pu faire un geste, le pianiste avait déjà en main un petit automatique, il appuya deux fois sur la détente et deux balles me traversèrent les poumons et la tête. Je tombai étouffant dans mon sang, Olivia, j’ai crié, Olivia je n’aimerai jamais que toi et de nouveau ce fut l’image d’Eve en petite fille qui fut la dernière, Eve souriante, Olivia pourquoi n’es-tu pas venue ? Cette nouvelle mort me fit à l’instant entrer dans l’enveloppe charnelle de mon meurtrier. Je devins le pianiste. Devant la Cour d’Assises, tu fis une déposition froide, tu paraissais absente. Acquitté, on m’offrit une tournée de concerts en Belgique ou en Grèce. Je ne savais même pas déchiffrer une note. Je le dis la veille du premier concert à mon imprésario. Vous êtes fou, mon cher, jouez et fichez-moi la paix. Je m’enfuis une demi-heure avant le concert et me retrouvai le lendemain dans une rue de Florence sans un sou en poche, affamé, amoureux de toi qui ne m’avais pas attendu à la porte de la prison, parce que tu étais pressée d’aller faire l’amour avec un banquier égyptien qui se croyait le fils de Ramsès II. 
Eve s’est remariée avec un vice-consul. Je ne sais pas où elle l’a péché, c’était un vice-consul aussi distingué que possible. Louis n’était pas au mariage, mais moi j’y étais. Ce jour-là un autre vice-consul ami dudit vice-consul te faisait la cour. Je n’eus guère de peine à prendre sa place et sa vie. Je réussis à m’approcher d’Eve. 
— « Je crois que j’ai un peu connu votre premier mari, chère madame. » 
— « Ah ! vraiment ? » dit Eve. 
— « Oui, c’était un spécialiste de votre XVIIIe, le grand siècle, was it not ? » 
Eve ne m’écoutait pas. 
Soudain, la prenant à part je lui glissai : 
« Eve, écoute, dans le carnet vert il y a une note qui te concerne, toi et notre île Saint-Louis. » 
Elle me fixa, les yeux vides et effrayés. Je disparus. 
Un jour même je pensai sérieusement à revenir à Eve, à tout le bonheur de ma vraie vie perdue, mais comment faire ? Il suffit d’y penser pour que je te revoie toi, Olivia, toujours jeune et brillante. Ceux qui disent que les histoires d’amour finissent avec la mort mentent. Je me suis promené toute la nuit dernière le long des docks d’Amsterdam, pour bien penser à toi et à ce que je vais faire, depuis que je t’ai vue avant-hier avec Louis rue de Rivoli. Il te prenait le bras. Je sais que tu l’aimes. 
Mais moi, pourquoi tu ne m’aimes pas, dis, Olivia ? 
  

(c) Bernard SAUNIER - Créé à l'aide de Populus.
Modifié en dernier lieu le 16.05.2024
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