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Virginie (Virginia) par C. M. KORNBLUTH

Virginie (Virginia) par C. M. KORNBLUTH 
 
Le regretté C.M. Kornbluth aimait beaucoup démolir les mythes. C’est au mythe des grandes banques internationales, qui tirent toutes les ficelles et dont nous ne sommes que les pantins, qu’il s’attaque ici avec sa verve habituelle(5). 
 
LE matin des funérailles de son père, James « Bunny » Coogler s’éveilla avec la vague impression qu’il y avait un monde fou dans sa chambre. De fait, son fidèle Ohara (des Ohara de Simonoseki, à ne surtout pas confondre avec la branche irlandaise de cette famille) le secouait par la manche en suppliant : « Vous lever, massa Bunny ; Beaucoup gros messieurs venus vous voir ! » Bunny tâtonna en direction de sa table de chevet à la recherche des lunettes fumées qui protégeaient ses yeux rougis. Ohara les lui colla d’office sur le nez puis se hâta de lui faire avaler un cocktail-flip, un soda et un café arrosé. Le coefficient de fébrilité matinale dont Bunny était coutumier retomba progressivement à zéro, et il put promener à travers la chambre son regard cerclé de noir. 
— « Bonjour, jeune Coogler, » le salua une voix bourrue. La voix était celle de J.G. Barsax, le plus vieil associé de feu son père. Un murmure d’approbation et de saluts orchestra ses paroles, provenant de trois autres silhouettes éléphantesques. Il y avait là Gonfalonieri de la First American, Witz de la Diversified Limited et Mac Chesney du Southern Development Incorporated. Si une bombe avait éclaté à ce moment précis dans la chambre, elle aurait liquidé l’équivalent de dix-huit milliards de dollars de Haut-Patronat et d’Actionnariat. 
« Condoléances pour le papa, » marmonna Barsex. « Permettez que nous nous asseyions ? Reste guère de temps avant l’enterrement, et va falloir qu’on fasse vite pour vous mettre au courant. » 
Bunny objecta : « Mr. Sankton m’a déjà expliqué ce que j’aurais à faire, Mr. Barsax : je me lève après le dernier Amen, j’ouvre la marche pour bénir le cercueil, puis… » 
— « Mais non, mais non. Les rites de l’enterrement, vous les connaissez, bien sûr. Je veux parler de la mise au point côté finances. Vous voilà maintenant très riche, jeune Coogler. » 
Le jeune Coogler retira ses lunettes. « Vous croyez ? » fit-il d’une voix mal assurée, « Certainement pas. Mon père avait toujours parlé d’un fidéicommissaire qui me verserait vingt mille dollars par an… » 
— « Parlé, » souligna Gonfalonieri. « Ce n’était que des paroles, sans aucune disposition écrite à l’appui. Vous êtes donc bel et bien le seul héritier de… disons de 3 500 000 000 de dollars. » 
L’efficient Ohara remplit aussitôt une nouvelle tasse de café-rhum qu’il plaça entre les doigts de Bunny. 
— « De sorte, » intervint gentiment Mr. Witz de la Diversified Limited, « que vous devez être mis au courant de certaines choses… de certaines règles établies que Nous observons. » On sentait nettement sonner le N majuscule du pronom. Royal, directorial, théologique ? Il eût été difficile de préciser. 
Sur ce, les quatre initièrent Bunny. 
Primo, il lui serait interdit d’admettre qu’il était riche. Il aurait recours à la périphrase : « le peu que je possède » accompagnée d’un petit haussement d’épaules sarcastique. 
Secundo, en aucun cas ni sous aucun prétexte il ne devrait donner si peu que ce fût à autrui. Il couperait court à chaque demande de ce genre en affirmant que c’était la goutte qui risquait de faire déborder l’urne de ses charités. 
Tertio, toutes les fois qu’on lui offrirait quelque chose – qu’il s’agisse d’un cigare ou d’un conseil valant un million de dollars au sujet d’une action en hausse – il l’accepterait sans remercier, mais en se plaignant amèrement que ce cadeau ne fût pas plus beau. 
Quarto : il considérerait le fait de toucher au Capital comme un équivalent moral de la coprophagie, mais ne devrait jamais s’aviser de se restreindre en vivant du revenu de ses revenus – une telle façon d’agir étant tout juste bonne pour ceux de la Nouvelle-Angleterre. 
Quinto : quand il songerait à se marier, il choisirait obligatoirement sa fiancée dans la famille de l’un d’entre Nous. 
— « Vous voulez dire une de vos filles, messieurs ? » demanda Bunny. Il songeait à l’aînée de J.G. Barsax et réprima difficilement un frisson. 
— « Non, » le rassura Witz. « L’un d’entre Nous au sens le plus large, s’entend. Vous apprendrez à connaître votre Monde et au besoin, à faire d’instinct la différence entre un millionnaire et quelqu’un de vraiment pourvu. » 
— « Voilà en gros de quoi il s’agissait, » conclut Barsax. « Nous vous reverrons à l’enterrement et vous reparlerons plus tard, Coogler. » Il consulta sa montre. « Venez, messieurs. » 
*** 
Bunny avait beaucoup de dispositions pour la mécanique. Il prit donc grand plaisir à visiter le Musée des Inventions Supprimées installé dans la propriété de J.G. Barsax en Caroline et dont le vieux conservateur, tout tremblant d’émotion, lui faisait les honneurs : 
— « Voyez ici, monsieur : le carburateur qui ne consommait que deux litres et demi aux cent kilomètres. Une invention qui remonte à 1936. Ah ! que d’efforts n’ai-je pas dû déployer dans cette affaire ! J’étais détective à l’époque, et il m’a fallu pousser mes recherches jusque dans un trou perdu de l’Iowa, sur un vague renseignement fourni par un avocat-conseil. Et que de peines pour le faire supprimer, monsieur, que de peines ! Mais (ici, monsieur, dans la vitrine à côté) une telle invention aurait été périmée de toute façon en moins de deux ans… eh oui, quand quelqu’un mit au point la Pilule-Essence. Voyez plutôt ! » 
Il prit gaiement un pilule verte dans la vitrine, la mit dans une bonbonne contenant quatre litres d’eau pure et continua de discourir pendant que le mélange fumait et bouillonnait pour donner finalement un super-carburant à 100 octanes. 
L’Allumette Inusable offrait beaucoup d’intérêt, l’Aloyau à Dix francs était délicieux et la Crème Amaigrissante diminua d’un bon centimètre la brioche de Bunny. « Mais je vous le demande un peu, monsieur, » gazouillait le vieux conservateur, « à quoi bon fournir au consommateur quelque chose d’efficace ? Il se contenterait de s’en servir et une fois qu’il n’en aurait plus besoin, il n’achèterait plus, pas vrai ? 
» Tenez, monsieur, voyez donc encore celle-ci. Elle n’est pas à proprement parler supprimée. Nous nous bornons à la perfectionner, de sorte que dans cinq ans nous pourrons peut-être la lancer sur le marché au prix de 5 000 dollars. » Bunny regarda. Il s’agissait de la télévision à trois dimensions en couleurs naturelles, dont tout le secret consistait en une pile de lampe de poche, un crampon en C et une pincée de bicarbonate de soude. 
Il eut également l’occasion de visiter en détail la grande usine à fléaux implantée au cœur des Montagnes Rocheuses. C’est là que mouches, cafards, moustiques, charançons du cotonnier, mildew, phylloxéra, mosaïque du tabac, etc., étaient sélectionnés avec des soins jaloux jusqu’au maximum d’efficacité pour être ensuite équitablement répartis dans le monde entier. Le taciturne Yankee natif du Connecticut qui dirigeait le Centre de Prolifération fit le point pour Bunny en quelques phrases lapidaires : « Ces sacrées souricières perfectionnées ont fichu en l’air toute l’industrie des pièges à souris. Et on parle du bon sens des gens ! C’est comme le DDT, qui a presque entièrement ruiné les pesticides. Une sacrée industrie pourtant, les pesticides, qui faisait vivre deux cent mille ouvriers. Y a-t-on seulement songé ? Ouat ! Si bien que nous voilà obligés de sélectionner des espèces résistant au DDT et de les semer partout ! » 
Peu à peu, Bunny acquérait cet instinct auquel Mr. Witz avait fait allusion le premier jour. Quand il rencontrait un Texan travaillant dans les Pétroles, il pouvait conclure que l’hilarité de l’homme et ses facéties provenaient de sa pauvreté – ce dont il éprouvait de la pitié pour l’infortuné. En revanche, le jour où chez Gonfalonieri, en Basse-Californie, il fit la connaissance d’un certain Briggs, il n’eut qu’à observer le calme maintien de celui-ci pour se rendre compte qu’il avait affaire à l’un d’entre Nous. Il ne fut donc pas surpris d’apprendre un peu plus tard que ce Briggs détenait à lui seul tous les brevets de base du Commerce et des Installations Aquatiques. 
Ce fut ce même Briggs qui le prit à part pour un entretien sérieux. Il offrit à Bunny un cigare de mille dollars (un de ces cigares pour lesquels l’homme au maintien calme avait fait installer une île artificielle en plein Pacifique au point optimum de température, de vents et d’humidité) et lui dit : « Il est temps que vous songiez à vous marier. » 
Bunny, qui ne pouvait feuilleter un numéro de « Vogue » ou du « New-Yorker » sans un tendre sourire de réminiscences charnelles en voyant les adorables modèles des pages de publicité, fut loin d’abonder dans le sens de son interlocuteur. 
— « Mais pourquoi, Briggs ? » marmonna-t-il. « Je m’amuse beaucoup, moi. Avant, je n’avais pas grand succès auprès des femmes, alors que maintenant tout est changé. Je veux dire… » Il esquissa le petit haussement d’épaules sarcastique. « Je veux dire qu’avec le peu que je possède, je me débrouille comme un dieu sans qu’il m’en coûte un sou. C’est drôle. Quand j’étais pauvre, avec mes vingt mille billets par an, il fallait que je paie tout – les corsages, les bagues, les dîners. Maintenant, fini : c’est à moi qu’on offre tout. Les bracelets-montres, je les compte par douzaines. Mais les règles sont là… il faut que j’accepte les montres. C’est drôle. » 
— « Nous sommes tous passés par là, » reconnut Briggs. « Quand vous en aurez assez, faites-moi signe. » 
— « Promis, » assura Bunny. « Promis et juré ! » 
Il alla passer ensuite six mois à Hollywood où de séduisantes beautés blondes rivalisèrent d’efforts pour le gaver de coq au vin tout en le couvrant de bijoux, de hache-viandes en iridium et autres babioles. L’une d’elles, femme charmante qui avait débuté dans le cinéma parlant vers 1934, lui offrit un authentique et très ancien fourreau d’épée que l’on prétendait remonter aux Croisades. C’était là un cadeau agréable, une heureuse diversion dans la… 
… la monotonie ? 
Il se retrouva brusquement assis sur le couvre-lit de vison, geste qui arracha un petit grognement comateux à la beauté sculpturale dont la tête blonde creusait l’oreiller de soie. 
— « Monotonie, » se répéta-t-il en un soupir tragique. « Une monotonie irrémédiable. » 
Il rentra chez lui pour retrouver le fidèle Ohara, sans oublier toutefois de ramasser son petit cadeau de la soirée – un assez joli casse-noisettes en or serti de diamants et doublé en léopard mort-né. 
Ohara puisa dans ses trésors de sagesse orientale en vue de consoler l’affligé. Il insinua d’abord que s’il fallait endurer la monotonie d’une telle existence, cette monotonie n’en revêtait pas moins un aspect merveilleux. Sans succès. « Vous oublier monotonie, » suggéra-t-il alors. « Vous essayer vous amuser. Vous par exemple dépenser deux millions dollars construire grande ville au bord de la mer ou montagne. » Mais rien de tout cela ne pouvait dérider Bunny qui finit par gémir d’une voix dolente : « Ohara, je donnerais volontiers… (le petit haussement d’épaules sarcastique accompagna ces mots) le peu que je possède pour ne pas être fatigué – oh ! si fatigué ! – de la vie. » 
L’espace d’une seconde, l’impassibilité orientale du domestique se fondit en un léger rictus. Les ordres reçus étaient clairs. Il savait que le moindre manquement de sa part eût entraîné pour lui des conséquences terribles. 
Une heure plus tard, pendant que Bunny se tournait et se retournait par à-coups nerveux entre ses draps, Ohara téléphonait à une adresse qui ne figurait pas dans l’annuaire de New York : « Ici, Ohara, » dit-il à voix étouffée, « Massa Bunny lui dire vouloir donner argent, tout l’argent à lui. » 
La voix qui répondit était celle d’un Anglais au langage châtié : « Merci, Ohara. Naturellement, et dans votre propre intérêt, nous espérons qu’il n’est pas déjà trop tard. Nous espérons de tout cœur que nous n’aurons pas à vous infliger le supplice du Découpage en Mille Morceaux. On pourrait écrire tout un livre sur le 328e – et quant au 401e… Mais je ne veux pas vous retenir plus longtemps à bavarder. » Et l’on raccrocha. 
En moins de quelques minutes, la villa isolée à l’autre bout du canyon se trouva totalement encerclée, genre d’opération rapide et discrète où excellaient entre tous les mercenaires de la Quatrième Force d’Assaut Amphibie et Aéroportée Ploutocratique. À l’aube, cette unité d’élite emportait vers la propriété de Barsax (Caroline du Nord) un Bunny auquel on avait fait absorber un puissant sédatif. 
Il se réveilla dans la chambre d’ami qu’il connaissait déjà, juste en face de la porte du Musée des Inventions Supprimées. Mr. Witz et Mr. Briggs (l’homme au calme maintien) se trouvaient à son chevet. Ils gardèrent un visage de bois pour prononcer la sentence : « Vous avez désobéi aux Règles, jeune Coogler. Vous avez dit qu’il était une chose que vous placiez au-dessus de l’argent. Vous devez disparaître. » 
— « Pardonnez-moi, » chevrota Bunny. « Je n’en pensais pas un mot. J’épouserai votre fille. J’épouserai toutes vos filles, mais laissez-moi la vie ! » 
Mr. Witz fut implacable : « Nos filles ont de trop bons sentiments, elles ont trop le respect de l’argent pour se soucier d’un immonde ploutophobe de votre espèce, jeune Coogler. Si seulement votre pauvre père avait désigné un fidéicommissaire en temps voulu… Enfin, Dieu merci ! il n’est plus de ce monde pour voir tant de turpitude ! Mais rassurez-vous, nous ne vous tuerons point. Il n’est pas en notre pouvoir de causer la mort d’un milliardaire comme s’il s’agissait d’un chien ou d’un homme du commun. Tout ce que nous pouvons, et ce que nous allons faire, c’est vous isoler, vous mettre en quarantaine. Direction Virginie. » 
Ces mots semblèrent à Bunny une pure incohérence jusqu’au moment où on le fit entrer dans le Musée et où l’on sortit d’une vitrine un astronef monoplace. C’était une invention réalisée dès les années 1923 par un certain Rudolph Grenzbach de Cernovitz (Haute-Silésie) – dont, quelques mois plus tard, on avait retrouvé le corps en Basse-Silésie. 
Deux officiers de la 4e F.A.A.A.P. installèrent Bunny malgré ses véhémentes protestations dans l’engin en forme de fusée et procédèrent au réglage des instruments de bord. Il apparaissait maintenant que Virginie était un astéroïde, et non l’état voisin de la Caroline. 
Quelques minutes plus tard, Bunny prenait le chemin du ciel. 
*** 
Au bout de quatre ans, Mr. Witz et Mr. Briggs tinrent une nouvelle conférence extraordinaire. « Peut-être, » suggéra le premier, « la leçon est-elle maintenant suffisante ? Appelons le garçon pour voir s’il est revenu de ses théories séditieuses et s’il y a lieu de le libérer. » 
Ils entrèrent en communication avec l’astéroïde Virginie au moyen d’une autre Invention Supprimée. Ce fut Mr. Briggs qui appela : « Allô, Coogler ? Ici, Briggs. Nous désirons savoir si vous avez retrouvé votre bon sens et si vous êtes prêt à reprendre votre place dans la société… parmi Nous, naturellement. » 
La voix rauque de Bunny fit vibrer le haut-parleur : « Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que c’est ? Non, plus maintenant, ça suffit d’une fois ! D’où est-ce qu’on me parle ? Vous pouvez m’entendre, Mr. Briggs ? » 
— « Je vous entends très bien. » 
— « Prodigieux ! Encore une Invention, sans doute ? » 
— « Oui. Je vous appelle, jeune Coogler, pour savoir si vous êtes venu à résipiscence – et si oui, pour vous libérer. » 
— « Me libérer ? » se récria Bunny. « Ma foi non, merci, ce n’est pas la peine ! Je me plais beaucoup là où je suis. On a besoin de moi, vous comprenez. Ici, je suis aimé pour moi-même. Uniquement pour moi-même, et non pour vos sacrés dollars. Au diable les milliards, na ! » 
Mr. Briggs, le visage livide, coupa la communication. 
— « C’est ce qu’il voulait que vous fassiez, » lui fit observer Mr. Witz. 
— « Je sais. Qu’il crève où il est. » 
Le vieux conservateur, qui prêtait timidement l’oreille à cet entretien, intervint d’une voix que l’âge faisait trembler : « Sur Virginie ? On ne crève pas sur Virginie. Ignorez-vous donc, messieurs, la raison pour laquelle on a baptisé cette petite planète Virginie ? » 
— « C’est bien le cadet de mes soucis, » rétorqua sèchement Mr. Briggs. « Mais puisque vous grillez d’envie de nous le dire, allez-y. » 
Le conservateur eut un sourire immense : « Ce nom lui a été donné parce qu’elle est l’astéroïde des vierges – des vierges à perpétuité. La pire des diableries. Les officiers des Forces Spatiales Ploutocratiques affirment qu’ils n’ont jamais vu chose pareille nulle part ailleurs… ni sur Mars, ni même sur Callisto. La virginité se renouvelant elle-même… La pire des diableries ! » 
Mr. Briggs et Mr. Witz échangèrent un regard éloquent. Un silence régna, que Mr. Witz rompit enfin : 
— « Il n’était décidément pas fait pour être l’un des Nôtres. » 
  
(Traduit par René Lathière.)

(c) Bernard SAUNIER - Créé à l'aide de Populus.
Modifié en dernier lieu le 16.05.2024
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