ARK NETWORK reference.ch · populus.ch    
 
  
Le site du Petit Papy 
 
 
Rubriques

RETRAITE
SEMINAIRE
A. E. T.
ORIGINES
LE MUR
MUSIQUE
CARRIERE
CHANSONS
AveMaria
Violetta
Acropolis
Marilou
Méditerra
Tango
Bohémienn
Regrette
Fleur
Mexico
Amour
Bord' Eau
Visa pour
Pirée
Gondolier
Que Sera
ComePrima
Etoiles
Javableue
3 cloches
Histoire
Alsace
Cerises
Blés d'Or
Adieux
Cheminée
Le Train
Lara
vie Rose
Colonies
Maman
Rossignol
Tom Dooly
Harmonica
Heintje
Captain Cook
Ernst Mosch
Accordéon
DEFILES 1
DEFILES 2
accordéon 2
accordéon 3
accordéon 4
accordéon 5
DEFILES
EXTRAITS
VRAI !
CITATIONS
ESOTERISME
VACANCES
Films
Films 1
Films 2
Livres
Livres 1
Livres 2
livres Google
Livre GOOGLE 1
Livre GOOGLE 2
Livre GOOGLE 3
Livre GOOGLE 4
Livre GOOGLE 5
Livre GOOGLE 6
Mus.Retro
Tableaux 1
Tableaux 2
Tableaux 3
Tableaux 4
Tableaux 5
Tableaux 6
Tableaux 7
Tableaux 8
Tableaux 9
Tableaux 10
Tableaux 11
Tableaux 12
Tableaux 13
Tableaux 14
Tableaux 15
Tableaux 16
video
vidéo
Orgue
Paranormal
Alsace
Danse
Musikanten
Musikanten 1
Musikanten 2
Musikanten 3
Musikanten 4
Limonaires
Limonaires 1
Limonaires 2
Limonaires 3
Limonaires 4
Templiers
Jules Verne
Photos 2° Guerr
Tableaux 01
Livre 1
Livre 2
CITOYEN DE SECO
LES HOMMES DANS
La sève de l'arb
Les enfers sont
Jusqu'à la quatr
La chenille rose
Le monde orpheli
Le miroir humain
Un spécimen pour
Les premiers hom
Le péché origine
Assirata ou Le m
L’Exécuteur - RO
Celui que Jupite
L'Enchaîné - ZEN
Le cimetière de
Les souvenirs de
Échec aux Mongol
Olivia par HENRI
Clorinde par AND
Les prisonniers 
L’étranger par W
Du fond des ténè
Son et lumières
L'habitant des é
D'une route à un
Le second lot -
Le saule - JANE
Rencontre - GÉRA
Il était arrivé
Un autre monde -
La filleule du d
Le passé merveil
Les ogres par RO
Le pion escamoté
Virginie (Virgin
Et le temps ne s
Suite au prochai
La venue du héro
Une brise de sep
Et s’il n’en res
Vers un autre pa
Le singe vert -
Le Yoreille - PI
Témoignage perdu
Retour aux caver
Les premiers jou
Le diable par la
La seconde chanc
L'état d'urgence
Le masque - JACQ
Sans issue - JAN
Fugue
Une créature
La ville entrevu
Dieu n'a pas de
Les ongles
Sous le vieux Po
Douce-Agile
Le Diadème
Le manteau bleu
Les frontières
Les marchands
Le jardin du dia
Retour aux origi
Les communicateu
Le cri
Le rêve
Le cavalier
Un homme d’expéd
La proie
Les idées danger
Le temple
La nuit du Vert-
La choucroute
Les derniers jou
Partir, c'est mo
La route
La machine
Les prisonniers
Guerre froide
Gangsters légaux
La Valse
Invasion
Loup y es-tu ?
Maison à vendre
Le miroir
Ma pomme
Route déserte
Le test
L'homme qui écou
Ce que femme veu
Cache-cache
Le voyage
Désertion
Opération Opéra
Invasion
Le cœur d’une vi
Les immigrants
Le Train pour l'
La petite sorciè
Culbute
Et la vie s'arrê
La Salamandre
Des filles
Contes d'ailleur
L’homme
Les fauteurs
Les trois vieill
Incurables sauva
Djebels en feu
COMMANDERIE
Les-sentiers
Kalachnikov
La Nuit de tous
ventres d'acier
Les Bellanger
Les saboteurs
Sigmaringen
trahison
La rebouteuse
L'europe en enfe
Non identifiés
La Chute de l'or
Année des dupes
Amères récoltes
Le Batard
Femmes cruelles
L'Armée des pauv
Afrika korps
LaCabaneduberger
La Louve de Corn
Frédégonde Reine
Au coeur des ext
L'île du dernier
Le secret de la
Une fille en cav
Les Enfants des
Le sacrifice des
J.Bergier
James Clavell
UN ADIEU
Jacques Mazeau
James Herbert
James Rollins
Hobb Robin
Horowitz Anthony
Kelig et Louis
BULGARIE
DIANA ET VINCENT
Elle réussit
Tour du monde
Survivre
40 Jours
en enfer
Jungle maya
ILS SURVIVENT
Je traverse seul

 

 Home  | Livre d'Or  | Album-Photo  | Contact

Maison à vendre JEAN RAY

Maison à vendre JEAN RAY 
 
 
 
« Le Livre des Fantômes », édité à Paris en 1947, est un recueil peu connu de Jean Ray où se mêlent histoires de fantômes et histoires de terreur. Avec « Maison à vendre », nous commençons la publication, qui se poursuivra dans les mois à venir, d'un certain nombre de nouvelles extraites de cet ouvrage introuvable, persuadés de satisfaire ainsi les nombreux admirateurs de Jean Ray. Ce sont là des récits plus simples de facture, moins « orchestrés », que ceux du grand cycle fantastique auquel nous avions naguère emprunté « La ruelle ténébreuse » (n° 9), « Le Psautier de Mayence » (n° 18) et « Le grand nocturne » (n° 38). Mais ils portent à un égal degré la marque de l'auteur, comme au fer rouge. Car Jean Ray est de ces créateurs qui mettent tout d'eux-mêmes dans la moindre évocation de l'univers édifié par eux.  
 
 
C'est en vain que les juges des hommes imploreront la clémence divine. Ils connaîtront l'épouvante et la pérennité du châtiment. 
 
Le Livre de la Sagesse. 
 
Confucius. 
 
 
 
Je n'aurais pas attaché une bien grande importance à cette histoire de fantômes si elle ne m'avait été contée par Dunstable. 
 
Or Maple Dunstable est certainement un des démonographes les plus éclairés de ce siècle, et la démonographie, science terrible mais décriée, ne compte qu'un nombre restreint d'initiés. Dieu merci, d'ailleurs. 
 
Il la nomma lui-même « une histoire de fantômes à rebours », l'expression me laissant notablement perplexe. Aussi je la donne telle quelle. Elle m'intéresse également parce qu'il y est question, bien passagèrement il est vrai, du grimoire Stein. 
 
Qui donc est l'auteur de cet effroyable mémoire du sortilège raisonné et, par vénéfices et formules, mis à la portée de tous ? On cite trois ou quatre noms obscurs qui n'éclaireraient en rien le lecteur si je les transcrivais ici. Tout ce que l'on sait, ou plutôt ce que l'on admet, c'est qu'il est né au XVIIIe siècle à Stein, petite ville suisse du canton d'Appenzell. C'est là que le document fut découvert plus tard par Simon Rowledge, un descendant de l'énigmatique Dr. John Dee, le constructeur du miroir noir qui fit l'orgueil et le malheur de la famille Walpole, aux siècles passés. 
 
Écoutons Dunstable au sujet du grimoire Stein. 
 
L'auteur a distillé en quelque sorte l'œuvre du Grand Albert, La Clavicule du Roi Salomon, Le Livre de la Kabbale, rejeté comme résidu inutilisable leur hermétisme, leur obscurité, voire leur fantaisie, pour en arriver à une quintessence claire, nette et redoutable. Il a fourni des formules précises comme des équations algébriques ou chimiques, sans probabilités ni défaillances. Qui l'eut en sa possession ? Ici suivent quelques grands noms de l'histoire, tant de la Révolution française que de l'épopée napoléonienne, que de la vie moderne. 
 
Si je l'avais en ma possession, je n'hésiterais pas à le détruire quand je me sentirais aux approches de mon terme, tant ces écrits insolites pourraient, bien plus que les conflits, pousser les hommes aux pires fins. 
 
Il se fait que, vaguement, je sache de quoi on y traite. Cela m'a suffi à en perdre le repos et la quiétude d'âme, si nécessaires à ceux qui affrontent l'inconnu. Et le chapitre le plus effroyable est certainement celui qui ose empiéter sur la justice souveraine. Celui qui incite et permet directement de voler Dieu ! Il s'agit de punir les morts !  
 
Or c'est ce que fit Merrick. 
 
Et Merrick, qui était un homme tout à fait ordinaire, n'eût pu le faire s'il n'avait pas eu connaissance du grimoire Stein. 
 
Je n'en suis que médiocrement étonné. 
 
Flavien Merrick était un voleur ; la fortune en fit plus tard et sans mérite aucun un honnête homme, mais dans l'âme il resta un voleur, un forban. Têtu, persévérant, plus rusé qu'intelligent mais ne manquant pas de culture et par-dessus tout terriblement rancunier, c'était bien l'homme à s'approprier, par tous les moyens, une arme comme le grimoire Stein et pour s'en servir. 
 
Jusque-là, Maple Dunstable. 
 
Il se fait que moi aussi j'ai connu Flavien Merrick, et j'avoue que le jugement à son endroit du célèbre démonographe me déconcerte quelque peu. Mais cela contribue à me faire entreprendre ce bref et terrible récit. 
 
Merrick, à l'époque où je le connaissais, sans le fréquenter pourtant, était un homme de bien ordinaire apparence, aventurier sans envergure, courtier marron peu redouté dont les fautes n'étaient pas lourdes. 
 
Pourtant, à propos d'une affaire de faux et de chèques sans provision, la justice s'occupa de lui et l'envoya pour quelques mois à l'ombre. Cela se passa dans une petite ville du Nord de la France où M. Larrivier siégeait au tribunal comme Premier Président. 
 
À Paris ou dans un grand centre, Flavien Merrick s'en serait tiré à bon compte, avec un sursis, même il aurait eu bien des chances de se voir acquitter, tant les preuves qu'on évoquait contre lui étaient faibles et fragiles. Mais il fallait compter avec la mentalité du président Larrivier. C'était un magistrat de la vieille et noble école, intègre et intraitable, appliquant la loi avec une rigidité extrême et pour qui la circonstance atténuante était lettre morte. Il partait du principe que chez l'inculpé les chances de non-culpabilité atteignaient à peine le chiffre dérisoire d'un pour cent. Aussi avait-il quelque orgueil à déclarer n'avoir, dans toute sa carrière, qu'acquitté cinq prévenus ; cela à son corps défendant, mais vaincu par des preuves d'innocence trop formelles. 
 
Pourtant Flavien Merrick se présenta le cœur léger devant le juge sévère. Il croyait avoir quelque droit à la gratitude de la part de ce dernier. 
 
Le président Larrivier, célibataire farouche, habitait une grande et vieille maison des remparts, avec ses livres et un unique ami, qu'il chérissait par-dessus tout : Fram, un vieux chien terre-neuve. Un jour le Président se promenait avec son cher compagnon le long du canal, au moment où les écluses ouvertes chassaient les eaux à grands remous. 
 
Fram, qui épiait sur la berge la fuite d'un rat, fit un faux mouvement et tomba à l'eau. Ce qui pour tout autre chien n'aurait été qu'une baignade faillit être fatal au vieux chien. 
 
Le pauvre souffrait de rhumatismes, et son train de derrière en était quelque peu paralysé. Pris dans un tourbillon, il allait se noyer lamentablement quand Merrick parut sur la scène du drame. Le courtier marron était sans nul doute un mauvais garçon, mais il aimait les bêtes et ne manquait pas de courage. 
 
Il se jeta résolument à l'eau et sauva Fram. 
 
M. Larrivier pleura de reconnaissance et Merrick, qui, au fond, était un malin, refusa les offres d'une récompense qui promettait d'être généreuse. 
 
Aussi fut-ce avec un sourire amer et désabusé aux lèvres que Flavien Merrick quitta entre deux gendarmes la salle d'audience où Larrivier venait de lui infliger le maximum de la peine : vingt mois de détention. 
 
En prison, il refusa avec hauteur les douceurs et les cigarettes que Larrivier lui envoyait, et l'on affirme que le juge en fut aussi désolé qu'étonné : pour lui, la gratitude et la justice étaient choses bien distinctes et semblait ne pouvoir comprendre que Merrick, délinquant, et Merrick, sauveur de Fram, formaient une seule et même personnalité. 
 
Merrick, à l'expiration de sa peine, quitta la ville où Larrivier continua pendant dix ans encore à prononcer des sentences sans mansuétude, avant de comparaître lui-même devant le Juge Suprême. 
 
La vieille maison des remparts fut mise en vente, mais sombre et inconfortable, elle ne trouva guère d'amateurs, d'ailleurs les héritiers du Président en demandaient un prix élevé. Elle menaçait réellement ruine, quand Flavien Merrick reparut dans la ville. 
 
On ne sait de quelle lointaine terre d'aventures il revenait, mais on ne tarda pas à apprendre que la fortune lui avait été scandaleusement favorable. 
 
À ce prix on oublie vite les fautes, voire les hontes passées ; la ville fit fête au nouveau nabab, surtout quand on apprit que cet étrange enfant prodigue avait l'intention de s'y fixer. Certes on s'étonna quelque peu du choix que fit Merrick en fait d'habitation, alors qu'il aurait pu s'offrir les plus fastueux domiciles. 
 
Il acheta la vieille maison des remparts… 
 
Il la fit mettre en ordre, sans y apporter toutefois de notables changements. 
 
Un autre sujet d'étonnement pour les bonnes gens de la petite ville fut le choix bizarre de Merrick dans l'engagement de son personnel. Deux ou trois domestiques au teint café au lait débarquèrent un jour du train et furent aussitôt intronisés dans la sombre demeure. C'étaient des gens taciturnes et peu liants, s'opposant farouchement à toute intrusion dans la maison de leur maître. 
 
Des voisins curieux déclarèrent qu'ils y circulaient en riches et exotiques atours, le front ceint d'imposants turbans scintillants d'or et de pierreries. On les voyait parfois dans le jardin se livrer à d'incompréhensibles pantomimes ayant l'air de rites orientaux. Mais ce furent là surtout des racontars de petite ville, et la véracité de ces dires est sujette à caution. 
 
Un jour, sans crier gare, Merrick et ses serviteurs quittèrent la ville et la maison fut mise à louer par les soins d'un notaire voisin. Le prix de la location était minime, aussi l'amateur ne se fit-il pas trop attendre. Ce fut un certain M. Lantelme, professeur au lycée communal. 
 
Ceux qui connaissent cet homme de bien, disons même éclairé, car il était membre de nombreuses sociétés savantes, n'oseraient mettre en doute les troublants témoignages qui vont suivre et qui furent écrits de sa main. 
 

 
* * 
 
Nous nous sommes installés, ma femme et moi, dans la maison des remparts, le 1er août, dans l'intention d'employer nos vacances à nous y organiser une vie aussi confortable que possible. 
 
Nous avons pris à notre service un couple d'âge mûr, aux excellentes références, les époux Blomme, originaires des Flandres françaises. 
 
Nous avons été tranquilles et rien ne vint troubler notre vie jusqu'à la mi-septembre, à peu près vers la date de la rentrée des classes. 
 
Un matin, entrant dans mon cabinet de travail, qui fut également, à ce qu'il paraît, celui de feu le président Larrivier, je fus surpris par la chaleur intolérable qui y régnait. 
 
Le poêle, une vaste salamandre, n'avait pas été allumé depuis notre installation, car la saison était radieuse. 
 
Je consultai le thermomètre : il indiquait trente-huit degrés. Celui qui se trouvait au dehors, contre la fenêtre, n'en accusait que dix-huit. J'interrogeai ma femme et mes domestiques, qui s'en montrèrent aussi stupéfaits que moi-même. 
 
Pendant quelques jours tout resta dans la norme, quand le phénomène se répéta d'une façon accrue : cet autre matin, je faillis tomber à la renverse dès mon entrée dans la pièce où régnait une chaleur atroce : quarante-cinq degrés ! 
 
Nous nous confondîmes tous en conjectures, dont aucune ne pouvait être acceptable. J'interchangeai les thermomètres intérieur et extérieur, parce que ce dernier était un appareil à indications maxima. 
 
Une semaine se passa avant le retour de la chose insolite : le thermomètre marquait quarante-cinq degrés, mais le curseur témoin avait remonté la nuit à soixante-dix degrés ! 
 
Je constatai alors que les vases que ma femme se complaisait à garnir journellement de fleurs fraîches étaient à sec, et les fleurs parcheminées. Mon encrier aussi avait été complètement asséché et sur mon bureau des feuilles de papier étaient racornies. Mon domestique qui furetait à mes côtés dans la pièce poussa tout à coup un cri de frayeur. 
 
— « Là !… Là !… Regardez le tapis, Monsieur ! » 
 
Robinson sur son île n'a pas pu être plus effrayé que je ne le fus, en relevant une trace de pied nu dans le sable de la plage déserte… 
 
En deux endroits le tapis était brûlé de part en part par les traces de deux pieds nus d'une repoussante maigreur ; de vrais pieds de squelette ! 
 
Je me penchai sur elles : une odeur rebutante de brûlé s'en exhalait. Je me proposai de veiller les nuits suivantes, mais ma femme s'y opposa formellement et manifesta son intention de déménager dans le plus bref délai. Mais le vieux Blomme, un ancien marin, et un homme qui n'avait pas froid aux yeux, me pria de le charger de cette surveillance. J'acceptai volontiers son offre. 
 
Il veillait la nuit à la porte de mon cabinet, dormant pendant la journée, mais nous étions déjà aux premiers jours d'octobre sans que le phénomène se fût reproduit. 
 
Je décidai de décharger mon brave serviteur de ces veilles fatigantes, mais il ne voulut rien entendre. 
 
Sa persévérance fut récompensée, si récompenser on peut dire. 
 
Une nuit, je fus réveillé par des coups frappés sur la porte de ma chambre ; c'était Blomme qui venait me tirer hors de mon sommeil. 
 
— « Venez vite, Monsieur, souffla-t-il, je sens la chaleur à travers la porte et une faible lueur glisse sous elle. » 
 
Il disait vrai : sous la porte une clarté bleuâtre, lunaire, était visible et le trou de la serrure semblait un œil pâle dans l'ombre du panneau. 
 
Je poussai brusquement les deux battants qui s'ouvrirent avec bruit. 
 
Un souffle de fournaise nous fit reculer, mais nous vîmes entre le bureau et la cheminée une haute flamme violette, immobile et comme rigide. 
 
Elle ne disparut qu'au bout de quelques secondes, qui nous suffirent toutefois à voir toute l'horreur qui y était enclose. 
 
Elle entourait, comme une gaine translucide, une effroyable forme humaine, d'une maigreur de momie, et qui tournait vers nous un visage atroce. 
 
L'apparition s'évanouit rapidement, ai-je dit, mais j'eus le temps de la reconnaître, malgré son affreuse déformation : c'était celle du juge Larrivier. 
 

 
* * 
 
Cette épouvante ne se renouvela plus. 
 
La paix fut retrouvée, mais ma femme ainsi que l'épouse Blomme refusèrent de rester plus longtemps dans la maison hantée. Après bien des larmes, ma femme accepta d'aller passer quelques semaines chez sa mère à Dijon et la servante à Lille, promettant de revenir quand les fantômes auraient été définitivement chassés. 
 
Le vieux Blomme resta, jurant de venir à bout de ce qu'il appelait les diables. 
 
Nous approchions de novembre. À la belle et généreuse saison avait succédé un froid brusque et brutal ; les dernières feuilles n'avaient pas encore quitté les arbres qu'un peu de neige avait déjà valsé dans l'air. 
 
La solitude du vaste cabinet de travail me déplaisait, d'ailleurs la salamandre brûlait difficilement à cause de la cheminée qui tirait mal : j'avais très froid dans cette pièce où j'avais senti le souffle torride du Sahara… Aussi je préférais me tenir dans la cuisine où le feu était clair et gai, et où la compagnie, bien que silencieuse, de Blomme m'était chère. 
 
Je me souviens fort bien du livre que je lisais : l'Émile de Jean-Jacques… Blomme fumait sa pipe au coin du feu, les regards perdus au loin, comme s'il se trouvait encore à bord.  
 
Tout à coup je levai les yeux de mon livre et je rencontrai ceux de mon domestique. 
 
— « Vous entendez quelque chose, Blomme ? » 
 
— « Pour dire que j'entends, Monsieur, non je n'entends rien, mais…» 
 
Moi non plus je n'entendais rien, mais… 
 
Sans rien nous dire, sans rien voir ni entendre, nous savions que tous les deux nous avions peur, affreusement peur. 
 
— « Il se passe quelque chose, Blomme…» 
 
— « Oui, Monsieur, il se passe quelque chose, de terrible. » 
 
Nous gardâmes le silence ; pour ma part, j'étais incapable d'exprimer une pensée, quelque chose d'inconnu, mais d'abominable, me figeait le cerveau. 
 
Alors Blomme articula avec une peine extrême : 
 
— « Toute la maison a peur ! » 
 
Eh bien, c'était cela, je n'aurais pu mieux l'exprimer : toutes les choses inertes, sans vie ni âme, qui nous entouraient, tout, depuis les simples meubles jusqu'aux briques de la vieille demeure, se recroquevillait d'épouvante. 
 
La grande horloge à balancier se tut, le feu cessa de ronfler, la lumière même de la grosse lampe électrique sembla se transformer, perdant son pouvoir de rayonnement, les ombres des objets furent soudainement noires comme des profondeurs de gouffre. Et tout à coup l'énorme vague de feu sombre fut sur nous. 
 
Je sentis mes chairs se serrer sur mes os, ma langue se durcir comme cuir dans la bouche, mes yeux rentrer dans ma tête. 
 
De nouveau, Blomme fit un immense effort pour parler et sa voix me parvint comme à travers une ouate épaisse. 
 
— « Le vieux… dans la flamme. » 
 
Mes yeux ne distinguaient rien en dehors du décor ordinaire, bien que hideusement transformé dans son essence, mais nul besoin n'était de voir : la présence de Larrivier était réelle, bien qu'invisible. Un Larrivier qui hurlait d'inaudibles plaintes nous prenait à témoin d'inhumaines tortures, implorait le secours. 
 
Mais je sentis également qu'une autre présence était là qui, à cette minute, fixait sur moi une attention pleine de haine et de rage. Ma pensée s'était tournée vers l'ultime sauveur : Dieu, et j'essayais de faire le signe de la croix. 
 
Une souffrance inouïe, se vrillant au plus profond de mon être, m'avertit alors que cette terrifiante présence ennemie s'opposait de toutes ses forces à mon geste. 
 
Mon poignet fit un bruit de sarment dans la flamme : il venait d'être cassé net, et ma main un instant levée retomba comme gantée de plomb. Blomme avait-il eu la même pensée que moi ? J'en fus certain, car je le vis lutter contre l'invisible adversaire, son bras se leva pourtant comme s'il soulevait un monstrueux fardeau et soudain il fit le signe sacré… 
 
La maison trembla sur ses bases, dans le buffet la vaisselle et la verrerie firent un bruit furieux de casse, la fenêtre fut arrachée et nous couvrit d'éclats de verre, mais le feu se remit à ronfler, le balancier de l'horloge reprit son mouvement de va-et-vient et la lumière s'épanouit comme une immense fleur claire. 
 
Blomme et moi, délivrés de la diabolique emprise, nous eûmes alors fort à faire : les meubles commençaient à brûler. 
 
Ici s'achève le témoignage du professeur Lantelme qui, le jour même, quitta la maison des remparts et demanda son changement. 
 
Un nouvel écriteau jaune parut sur la façade de l'immeuble et n'y resta pas longtemps, en raison de la modicité du prix de location. 
 
Le nouvel occupant fut un M. Boisson, qui s'y installa avec une nombreuse famille. 
 
Boisson ne semble pas avoir eu à souffrir des colères de l'inconnu, du moins il n'en fit confidence à personne. 
 
C'était un homme qui gagnait péniblement sa vie et avait une ribambelle d'enfants à élever, ce qui le rendait de commerce peu facile. 
 
Il est vrai qu'à différentes reprises il se plaignit au notaire, son voisin, des mauvaises odeurs persistantes qui régnaient dans la maison : soufre et cuir brûlé, précisait-il. 
 
Sa femme, une personne lymphatique, affaiblie par de trop fréquentes maternités, consulta quelques fois un pharmacien de la ville, qui lui donna des calmants et des somnifères. 
 
— « Je fais beaucoup de mauvais rêves, » disait-elle, « où je revois toujours le même vieux monsieur se tordant dans les flammes. » 
 
Les Boisson venaient de Grenoble et n'avaient donc pu connaître le président Larrivier. D'ailleurs, ils ne firent pas long feu dans la ville, un an plus tard, un copieux héritage les rappela dans l'ancienne capitale du Dauphiné. 
 
Il convient de rappeler peut-être qu'un des petits Boisson, en faisant ses adieux à ses camarades de classe, s'écria : 
 
— « Au moins nous n'habiterons plus une maison où l'on entend toujours pleurer et hurler dans les caves ! » 
 
La maison ne fut remise à louer que plusieurs mois plus tard, et de nouveau elle trouva promptement un locataire, un peintre aux désuètes allures de bohème, Anatole Grenelle. 
 
Certes, si quelque chose d'inhabituel se fût passé entre ses quatre murs, Grenelle, bavard, pilier de cabaret, vaniteux comme Alcibiade, n'en aurait pas fait mystère. 
 
Il y fut parfaitement tranquille et le serait resté si, lors d'une exposition de ses tableaux à Lille, il n'avait fait la connaissance de la femme Blomme. Veuve depuis quelque temps de l'excellent Blomme, l'ancienne servante avait ouvert un petit café dans le voisinage de la salle d'exposition. Grenelle venait s'y désaltérer régulièrement et un jour, quand la tenancière apprit le lieu de résidence de son client, elle lui raconta les mésaventures du professeur Lantelme. 
 
Le grain tombait en bonne terre : dans sa jeunesse, Grenelle s'était occupé quelque peu d'occultisme, même avait-il collaboré à une petite revue de spiritisme et de métapsychique. 
 
Il ne lui en fallut pas davantage pour enfourcher son vieux dada. De retour en sa maison, et ne parvenant guère à y découvrir quelque chose d'insolite, il résolut de provoquer l'Au-delà. 
 
Il fit l'acquisition du traditionnel guéridon à trois pieds, le posa au beau milieu de l'ancien cabinet de travail du juge et, selon la formule consacrée, invoqua l'esprit du mort. 
 
Il fut satisfait au-delà de toutes ses espérances. 
 
La petite table traversa l'air comme un bolide et fut réduite en échardes, tandis qu'un monstrueux fantôme, brusquement surgi, se jetait à la tête du téméraire, le terrassait, lui mettait le visage en sang et le laissait évanoui comme une femmelette. 
 
Sa première terreur passée, Grenelle sentit vaguement qu'il pourrait tirer quelque profit de la fantastique situation. 
 
Il s'en alla trouver le notaire. 
 
— « Au temps de nos rois, vous n'auriez échappé ni à l'estrapade ni au bûcher, » menaça-t-il. « N'empêche…» 
 
Contre toute attente, le tabellion se montra fort troublé. Il supplia Grenelle de n'en souffler mot à quiconque et, contre une récompense fort acceptable, lui en arracha la promesse. Flavien Merrick fut averti. 
 
Il arriva deux jours plus tard et se présenta au peintre. 
 
Exactement vingt mois s'étaient écoulés alors depuis la première apparition du fantôme de Larrivier. 
 
Au récit de Grenelle, Flavien Merrick ne manifesta ni étonnement ni émotion ; au contraire une lueur de joie était dans ses yeux. 
 
— « Monsieur Grenelle, » dit-il, « vous allez être le témoin d'un acte de justice. Veuillez refaire votre expérience de l'autre jour. » 
 
— « Jamais de la vie ! » s'écria le peintre, « d'ailleurs mon guéridon a été détruit. » 
 
— « Qu'à cela ne tienne, la première table venue fera l'affaire, même si elle pesait une tonne ! » 
 
Une liasse de billets bleus eut raison de l'hésitation du spirite. Il posa la main sur la lourde table de travail et, d'une voix mal assurée, somma l'esprit du président Larrivier de se manifester. La table frémit, glissa de côté, et Grenelle eut la désagréable sensation de se sentir soulevé comme par une houle furieuse. 
 
Le fantôme se tenait devant lui, hagard, atroce. 
 
Aussitôt une voix claire s'éleva, celle de Flavien Merrick. 
 
— « Larrivier, » disait-il, ses yeux brillant d'une lumière inaccoutumée, « Larrivier, vous m'avez condamné à vingt mois de prison et, ce faisant, vous vous êtes rendu coupable du plus vil crime des hommes : l'ingratitude. Fort d'une science qui restera à jamais au-dessus de celle des mortels, je vous ai tiré du repos éternel pour vous infliger vingt mois d'enfer. Votre peine est expiée, je vous libère. Retrouvez à jamais la paix de la tombe ! » 
 
Grenelle entendit une immense clameur de joie et le fantôme, se prosternant d'abord devant Merrick, se fondit lentement en une légère buée qui s'évanouit dans l'air. 
 
Il nous reste peu de chose à dire encore. 
 

 
* * 
 
Flavien Merrick donna l'ordre de démolir la vieille maison des remparts et sur son emplacement il fit bâtir une maison de retraite pour les vieillards nécessiteux de la ville. La rente d'un capital considérable en assura l'entretien. 
 
Merrick n'était pas un mauvais bougre, en somme, et je l'ai toujours dit, Maple Dunstable, qui s'intéresse avant tout au grimoire Stein, a essayé vainement d'entrer en relation avec lui. 
 
Merrick quitta la France pour les Indes anglaises. Le démonographe a pu suivre ses traces jusqu'à Delhi, mais là il semble avoir disparu définitivement. 
 
Lentement le let-motiv de Maple Dunstable est devenu mien depuis lors. 
 
— « Sans doute Flavien Merrick n'est pas homme à persévérer dans la voie abominable qu'il suivit pour sa vengeance, mais le grimoire Stein reste et, après Merrick, dans quelles mains tombera-t-il ? »

(c) Bernard SAUNIER - Créé à l'aide de Populus.
Modifié en dernier lieu le 16.05.2024
- Déjà 7809 visites sur ce site!