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Incurables sauvages - GEORGE P. ELLIOTT

Incurables sauvages - GEORGE P. ELLIOTT 
  
De plus en plus, les auteurs d'histoires interplanétaires s'intéressent à la psychologie des habitants des autres planètes plus qu'à leur forme extérieure. Les habitants de Vénus imaginés par l'auteur de cette nouvelle ne sont pas très différents de nous physiquement. Mais leur mentalité n'est pas du tout la même, car ils appliquent effectivement le précepte « Aimez-vous les uns les autres »… Avec un esprit féroce de satire, l'auteur imagine ce que pourrait être le contact entre des êtres pareils et l'homme.  
    
Une chose nous surprit agréablement à la surface de Vénus, battue par les tempêtes : la température. Elle ne descendait pas au-dessous de 10 degrés centigrades aux pôles et ne dépassait pas 70 à l'équateur. Nous vîmes plusieurs volcans en activité et ne découvrîmes aucune trace d'eau. C'est dans la zone tempérée de l'hémisphère sud, à l'abri d'une chaîne de montagnes se dressant à environ sept mille mètres, et avec deux heures d'avance sur le plus proche cyclone, que nous atterrîmes finalement. Revêtus de leur scaphandre et avançant avec prudence, Rossi et Bertel commencèrent à explorer la région autour de notre astronef, tandis que le Dr. Pound et moi-même couvrions leur marche avec un pistolet à étourdir et un solvateur. 
Il n'y avait rien à découvrir d'autre que du granit. Une montagne de granit, une plaine de granit, des rochers de granit, des filons de granit. Et partout de la poussière de granit. Nous remontâmes dans l'astronef et partîmes pour échapper à la tornade imminente. Nous nous arrêtâmes au milieu d'une plaine vaste comme l'Afrique. Rien que du granit. 
Après soixante-douze heures d'explorations infructueuses, nous étions tous en proie au plus profond découragement, Rossi le premier, qui, en sa qualité de spécialiste de cette partie de notre entreprise, semblait se tenir pour partiellement responsable de l'aspect peu engageant de la deuxième planète. Bertel se coucha et s'endormit. Moi, comme toujours en pareil cas, je me mis à manger sans pouvoir me rassasier. Quant au Dr. Pound, il ne priait plus, il avait même abandonné ce sourire qu'il fallut trois siècles de conquête anglicane pour faire éclore ; il restait figé à son périscope, observant le paysage de granit. 
Sans oser l'exprimer, la pensée d'un échec nous hantait tous. Cinq expéditions martiennes avaient échoué : les hommes avaient approché, avaient commencé à atterrir, puis on n'avait plus eu de nouvelles. C'est pourquoi nous avions été envoyés sur Vénus, mais nous aussi nous étions en train d'échouer. Nous étions arrivés et nous pourrions probablement repartir sans danger et cependant notre tentative était un fiasco : nous n'avions pas trouvé ce qu'il nous eût fallu trouver. 
Nous étions privés de toute communication avec la Terre à cause des tempêtes. Je crois que nous n'en étions pas fâchés, car autrement nous aurions attendu jusqu'à la trois centième heure, comme il était prescrit, pour employer notre dernière ressource, celle à n'utiliser que dans un cas désespéré. Nous avions cinq cents heures en tout ; si nous dépassions ce délai, notre retour sur la Terre serait des plus problématiques. 
Nous ne pouvions pas utiliser le cratère d'un des volcans éteints comme nous l'avions espéré, parce que tous les cratères étaient pleins de sable. Nous nous décidâmes pour une zone tempérée, à proximité d'une montagne. Nous retournâmes à l'endroit où nous nous étions posés la première fois. Une super-tempête caractéristique de Vénus était déchaînée quand nous y parvînmes. Rossi déclara que ce serait excellent pour chasser rapidement la radioactivité. Nous lançâmes la bombe à la quatre-vingt-deuxième heure. À la quatre-vingt-seizième heure, parfaitement protégés, nous revenions sur les lieux, nous attendant à ne trouver que quelques nouvelles variations sur le thème du granit. Mais nous y trouvâmes au contraire ce que nous avions cherché : des ressources naturelles et des êtres doués de raison… des richesses et des ennemis. 
L'excavation creusée par la bombe était profonde de plus de cent mètres. On y voyait la trace de plusieurs dépôts minéraux, y compris, dit Rossi, une grosse veine d'or et d'énormes quantités de pechblende. Mais son enthousiasme à la vue de minéraux et d'eau cessa dès que nous découvrîmes des preuves de vie : des sortes de terriers dont l'extrémité débouchait dans cette excavation. Ils n'étaient pas nombreux ni grands – environ un mètre vingt de diamètre – mais ils étaient réguliers et nettement artificiels. 
— « Là ! » s'écria le Dr. Pound, l'œil collé au périscope. « Tenez ! L'un des trous vient de disparaître ! » 
Il faisait évidemment très noir là-dedans, et Pound n'était pas un observateur infaillible, mais il jura que, tandis qu'il regardait une des ouvertures, celle-ci s'était refermée. En moins de dix secondes, elle avait tout bonnement disparu ; elle n'était pas distincte du reste de la paroi de granit. Le sable n'avait pu causer cette disparition. Nous revêtîmes notre harnachement et quittâmes l'astronef. 
Nous approchâmes lentement du premier trou. Rossi était armé d'un solvateur, Bertel d'un Murdlegatt, moi de deux pistolets à étourdir, et le Dr. Pound, qui est un peu vieux jeu, avait une mitraillette dans une main et un crucifix dans l'autre. Nous atteignîmes le trou sans difficulté et ne vîmes rien tout d'abord, aussi loin que portaient nos lampes électriques, qu'une sorte de tunnel qui aurait pu être creusé pour des mineurs d'un mètre de haut. L'air qui en émanait était relativement frais. 
Nous sursautâmes et nous nous retournâmes comme un seul homme. Un bruit grinçant retentissait quelque part derrière nous. Nous en discernions la sonorité claire et particulière à travers la plainte des vents furieux au-dehors. À ce moment, comme le Dr. Pound l'avait déjà dit, l'orifice d'un trou, que personne de nous n'avait remarqué particulièrement, mais que nous savions tous être là, disparut subitement. Nous courûmes à cet endroit et trouvâmes ce qui nous parut être un tampon de grès obturant l'entrée. Mais Rossi, en regardant de plus près, vit qu'il s'agissait d'un filtre ou d'un écran en métal léger, terriblement compliqué. Il l'élimina avec son solvateur réglé sur 7,7 et nous entrâmes tous dans le tunnel en courbant le dos. 
Il ne régnait pas dans ce tunnel une obscurité totale – nous ignorons encore pour quelle raison – mais il y faisait néanmoins très sombre. On ne pouvait distinguer sa main levée à hauteur des yeux, mais on pouvait dire qu'on ne la voyait pas, affirmation qui ne se conçoit pas dans l'obscurité totale. Il n'y avait pas d'irrégularités dans le sol du tunnel et pas de tournants, aussi pûmes-nous économiser notre lumière. Nous marchâmes longtemps, sans cesser de monter légèrement.  
Le Dr. Pound, le dernier de la file, cria tout à coup « Stop ! » d'une voix qui nous causa des picotements dans la nuque. Le tunnel nous avait semblé tout d'abord à la fois noir et silencieux, mais nous prenions maintenant conscience d'un bruit mat plus fort que le battement du sang dans nos tempes, venant de derrière nous. (Comment quelque chose avait-il pu se glisser derrière nous ?) J'allumai ma lampe électrique. 
À six ou sept mètres de nous, un bipède à la bouche fendue dans un sourire grimaçant, écarquillant des yeux immenses dans la lumière vive, se tenait dans une attitude légèrement voûtée. Il était nu ; son corps semblait dépourvu de rides et de poils et il avait la blancheur de peau caractéristique des êtres vivant en sous-sol. Il vint vers nous en tendant des mains munies de griffes. Il ressemblait plus à un être humain qu'à toute autre créature. Brandissant son crucifix, le Dr. Pound lui cria de s'arrêter, mais le Vénusien négligea l'avertissement. Ses griffes étaient acérées et son sourire sinistre.  
Le Dr. Pound l'abattit à moins de deux mètres. Nous vîmes le Vénusien porter les mains à son ventre en poussant un hurlement de douleur, mais lorsqu'il fut sur le point d'expirer, ses traits se détendirent en une expression paisible et, au prix d'un dernier effort, il regarda le Dr. Pound avec, aux lèvres, un sourire de joie. Le Dr. Pound s'agenouilla, fit le signe de croix sur le cadavre de la créature, récita une brève prière pour l'âme qu'elle aurait pu posséder, et nous reprîmes notre chemin. 
Moins de trois minutes plus tard, nous aperçûmes de la lumière au bout du tunnel, un point minuscule brillant faiblement dans le lointain. Puis le point s'obscurcit et nous entendîmes un appel ; un autre Vénusien approchait, sans aucun doute pour voir ce qui avait fait du bruit. Je l'aveuglai avec ma lampe. Rossi le liquéfia avec son solvateur (à 2,1) et nous enjambâmes la flaque visqueuse et approchâmes précautionneusement de l'entrée. Le tunnel ne permettait qu'à deux d'entre nous de regarder à la fois. Rossi et moi avançâmes à quatre pattes, jusqu'à ce que nos regards plongent dans une grande caverne. 
Cette caverne était chaude et humide – exactement les conditions voulues pour pouvoir y séjourner nus comme les Vénusiens – et si grande que nous ne pouvions en voir l'extrémité opposée. Les côtés étaient lisses et abrupts, le sol était en terre et d'énormes stalactites brillaient en l'air, nous cachant la voûte. De notre poste d'observation, à une trentaine de mètres au-dessus du sol, nous apercevions une masse de végétation pâle et un grand nombre de ces petites créatures à la peau blême. Elles se livraient à une sorte d'exercice, sautant en tous sens et s'étreignant, disparaissant sous les feuilles et s'appelant avec des voix gutturales. 
— « Qu'est-ce qu'ils font ? » demandai-je à Rossi. 
— « Ce sont des fous, » dit-il en haussant les épaules. « Des fous en train de danser. » 
Mais comme Bertel et le Dr. Pound nous tiraient par la manche et nous chuchotaient de leurs laisser la place, nous nous effaçâmes devant eux. 
Ils étaient si énervés tous les deux qu'ils en négligèrent les plus élémentaires précautions. Ils tendirent le cou et se mirent à discuter sur un ton passionné qui ne cessa de s'enfler et de porter de plus en plus loin. 
— « Il n'y a pas de raison de voir de l'excentricité dans leurs actes, » dit Bertel. 
— « Allons donc ! » répliqua le Dr. Pound, « regardez-les, mon vieux. » 
— « Que savons-nous de leurs mobiles ? Nous ne faisons qu'imaginer ce que nous voudrions exprimer si nous faisions comme eux. » 
Le Dr. Pound le regarda d'un air étonné. 
— « Et quelle est votre façon de procéder, à vous psychologues, avec les primitifs plus particulièrement ? » demanda-t-il. 
— « Bah ! » dit Bertel, éludant la question. « Si ces individus-là sont humains, je dirai qu'ils sont pré-sapiens. Regardez-les…» 
— « Non ! » dit le Dr. Pound. » Je distingue un enchaînement dans leurs évolutions. Je suis prêt à parier qu'ils exécutent une danse pour apaiser les dieux à la suite de la terrible explosion de notre bombe. » 
— « L'idée est originale, » dit Bertel. « Mais pour moi elle est trop hasardeuse. Je dirais plutôt qu'ils ont pu être gravement secoués par l'effet de notre bombe. L'oreille interne, peut-être. » 
La discussion continuait, mais je cessai d'y prêter attention. Je commençais à me demander quelle serait ma tâche si ces Vénusiens se révélaient être les équivalents des humains de la préhistoire. J'avais contribué à mettre au point la méthode Krase pour ramener les langues primitives à une sorte de langage de base facilitant grandement l'éducation. On avait eu des déboires avec deux tribus brésiliennes dont les langues n'avaient pu être traitées par la méthode Krase, et j'étais très curieux de voir ce que je pourrais faire avec les Vénusiens. 
— « Voyons, » dis-je aux deux chamailleurs, « comment diable faire pour descendre jusqu'à eux ? » 
— « C'est une échelle qu'il va falloir pour civiliser ces avortons, » dit Rossi en riant. 
Nous voyions que notre tunnel débouchait, comme tous les autres alentour, à trente-cinq mètres au-dessus du sol, sans escaliers creusés dans la paroi abrupte ni mécanisme d'aucune sorte grâce auxquels nous eussions pu descendre. Mais tandis que nous nous interrogions, nous vîmes, glissant à hauteur des stalactites, comme une barque sur un lac aux eaux calmes, le moyen de transport utilisé par les naturels de la planète : une sorte de nacelle peu profonde qui flottait dans l'air. Les deux Vénusiens qui l'occupaient la dirigèrent vers une autre entrée de tunnel, l'immobilisèrent contre la paroi et poussèrent leur chargement dans le boyau. Il s'agissait d'un tampon comme celui que nous avions dissous. L'un des hommes disparut en poussant le tampon et l'autre repartit avec l'embarcation. Nous ne savions que faire. 
La stratégie et la tactique à adopter avaient été décidées pour nous dans les moindres détails des années auparavant ; si nous trouvions des êtres intelligents (ce qui était certainement le cas) nous devions en isoler un petit nombre, communiquer avec eux de manière à apprendre tout ce qui était possible sur leur vie, sur leur aptitude à recevoir une éducation et sur les ressources naturelles de la planète, et nous devions être absolument sincères quant à nos intentions, mais non quant à notre pouvoir. Et, par-dessus tout, nous ne devions nous fier à personne.  
Le problème à résoudre était donc : comment parvenir au sol sans nous fier à l'un de ces petits bateliers ? Bertel nous suggéra d'en héler un, de lui demander de nous montrer comment faire voguer l'embarcation, puis de le jeter par-dessus bord. Mais nous objectâmes que c'était une entreprise trop risquée. Nous ne voyions d'autre alternative que de faire confiance à l'un d'eux, au moins pour le voyage aller. Et c'est ainsi que, non sans de graves appréhensions, quand une nacelle s'approcha pour déposer son chargement, nous nous mîmes à crier et à gesticuler jusqu'à ce que le batelier nous aperçût et se dirigeât vers nous. 
Il vint avec le sourire, les bras ouverts, jusqu'à l'entrée de notre tunnel, en faisant de petits bruits de gorge. Il ne paraissait nullement étonné de notre aspect physique. Avant que nous ayons pu lui faire comprendre que nous repoussions ses avances, il nous avait touchés plusieurs fois, essayant de nous prendre par le cou. Mais il finit par se faire une raison et, cessant de sourire, il nous laissa monter dans sa nacelle et nous y suivit. Nous désignâmes le sol juste en dessous de nous et bientôt nous commençâmes à descendre en gracieuses spirales. 
La nacelle était en métal et n'avait pas de commandes visibles. Le Vénusien semblait n'avoir rien à faire pour la guider. Nous étions tous perplexes, et nous le sommes encore, sur la façon dont elle naviguait. Le Dr. Pound, qui pouvait être déconcertant et fatigant à ses heures, murmura que c'était peut-être un atome de foi qui seul la faisait se déplacer. Je crois bien qu'en entendant cela, Rossi eût troqué avec plaisir le Dr. Pound contre une lampée de bon scotch. Je sais que, pour ma part, je l'aurais fait volontiers. Quand nous atterrîmes, j'étourdis le batelier avec mon pistolet de façon à assurer notre retour. 
Bertel, qui n'avait pas cessé de surveiller ce qui se passait sur le sol de la caverne, nous avertit de nous préparer à subir un assaut. Les Vénusiens s'approchaient de nous par dizaines, en gambadant et en gloussant. Nous ne pouvions compter sur aucune protection naturelle ; nous ne voyions autour de nous que ces plantes vert pâle, humides et molles, aux grandes feuilles effilées. Et nous n'avions pas le temps… les Vénusiens accouraient de toutes parts, sans marquer d'hésitation. Certains d'entre eux étaient armés d'outils que nous prîmes pour des pelles et des houes. 
Adossés à la paroi de la caverne, formant un demi-cercle en face du demi-cercle des assaillants, nous leur criâmes de s'arrêter, mais ils n'obéirent pas. Alors nous ouvrîmes le feu. Nous dûmes en éliminer cinquante d'une première salve, mais je ne crois pas que ceux qui suivaient aient compris ce qui se passait, car ils continuèrent d'affluer. Nous tirâmes une seconde fois et constatâmes que toutes nos armes avaient sur eux un effet meurtrier. Nous recommençâmes et, cette fois, ceux qui restaient s'arrêtèrent à environ cinquante pas. 
Tous, sauf un enfant, qui continua d'approcher à petits pas mal assurés tout en gloussant et en frappant l'une contre l'autre ses mains pourvues de griffes. Sa mère s'élança après lui en l'appelant avec de petits claquements de langue. Le Dr. Pound le fit culbuter en le poussant du canon de sa mitraillette et la mère le ramena et le consola en lui donnant le sein. Puis, souriant, elle étendit un bras terminé par la monstrueuse griffe (ne se fier à personne) en direction du Dr. Pound. Il déchargea son arme sur elle, et de même que la première créature qu'il avait abattue, elle mourut en lui adressant un sourire. Tous les autres s'enfuirent. Nous en conclûmes qu'ils avaient peur du bruit. Sans plus s'occuper de sa mère étendue sans vie, le bambin courut derrière eux en tenant ses griffes sur ses oreilles et en poussant des lamentations gutturales. 
Nous liquéfiâmes les morts et ranimâmes un certain nombre de ceux qui étaient tombés sous les coups de pistolet à étourdir, puis nous nous attelâmes aux lourdes tâches qui nous incombaient : assurer notre protection, communiquer avec les indigènes et explorer les ressources de leur monde. Armé de son Murdlegatt, Rossi partit avec le batelier et resta absent cent cinquante heures. Il nous fit au retour des descriptions de dépôts minéraux que nous eûmes quelque mal à croire. Je parvins à établir une sorte de contact télépathique avec les Vénusiens, sans être toutefois tout à fait sûr qu'ils nous comprenaient. Les tentatives que fit le Dr. Pound pour les convertir n'eurent pas le moindre succès et Bertel essaye encore maintenant de trouver un sens cohérent à leurs processus de pensée d'après les observations qu'il a pu faire sur eux. 
Cependant, pour des raisons de sécurité nationale, il ne m'est pas permis de discuter en détail, dans cette narration destinée à être publiée, aucun de ces aspects de notre expédition. Tout ce que je puis dire, c'est que cette planète populeuse et battue des vents contient des richesses que seules les statistiques peuvent exprimer et que l'ennemi qui l'habite ne vaut pas une épidémie de rougeole. Il ne nous fut même pas possible de découvrir si ces êtres sont suffisamment évolués pour pouvoir apprécier les avantages que leur apporteraient des livres, des vêtements, des machines et des guerres… bref, s'ils peuvent être amenés à un degré raisonnable de civilisation. 
Je puis dire que pendant plus de deux cents heures, nous soumîmes une douzaine de mâles vénusiens pris au hasard, mais nettement représentatifs de leur race, à toutes les expériences que l'ingéniosité humaine avait conçues dans le passé et que la nécessité nous imposait maintenant. Je montrais mes yeux – ils ont des yeux comme nous – et, réagissant à leur suggestion, mon esprit (et ceux de Bertel et du Dr. Pound comme le mien) était plein de l'image d'une chaîne de lacs sous un ciel clair ou d'un jardin de roses épanouies. Je frottais ma peau et la pinçais et mon esprit était occupé par la sensation d'un bain tiède ou de draps frais et lisses. Je montrais mon ventre et j'étais porté à penser à de la dinde rôtie (il n'y a pas de dindes sur Vénus, évidemment) ; mes oreilles, et j'entendais des oiseaux chanter dans le crépuscule (il n'y a ni oiseaux ni crépuscules sur Vénus). C'était comme s'ils avaient vécu jadis dans un monde comme le nôtre et qu'ils se fussent réfugiés sous terre pour échapper à des envahisseurs, se transmettant de génération en génération les souvenirs d'une vie agréable. Bertel, qui voit les choses d'un point de vue plus réaliste, dit qu'ils agissaient sur nos émotions et que nos esprits formaient les images correspondantes. Quand je me trouvai pleurant après leur avoir désigné mes doigts, Bertel dit que cela indiquait qu'ils nous plaignaient de ne pas avoir de griffes. Parfois, nous étions envahis du désir de les étreindre pour leur exprimer notre amitié (il nous arriva d'être obligés de les étourdir pour pouvoir vaincre cette impulsion) ; et parfois notre esprit débordait d'images érotiques si indécentes, toute perversion en étant cependant absente, que nous nous retenions à grand-peine pour ne pas liquéfier tous ceux que nous étions en train d'étudier. 
Ils étaient ou bien incroyablement simples d'esprit ou bien extrêmement habiles. En fait, s'ils avaient été de l'espèce Homo sapiens, Bertel les eût qualifiés de dangereusement névrosés. Car nous avions beau faire, nous ne parvenions pas à éveiller leur hostilité, ou, pour être plus précis, à déceler en eux le plus léger signe d'hostilité. Ils pleuraient quand nous les battions. Ils apprirent à courir quand nous les poursuivions. Nous empêchâmes l'un d'eux de manger ; il mourut et ce fut tout. Nous bandâmes les yeux d'un autre, nous lui attachâmes les pieds et lui enfonçâmes la tête dans un trou. Après s'être débattu un instant, il se mit à chantonner doucement jusqu'à ce que nous l'eussions tiré de sa position. 
C'est Rossi qui, au retour de son expédition, nous suggéra d'en torturer un. Je me montrai favorable à cette idée bien que le Dr. Pound s'y opposât, car j'estime qu'on peut découvrir bien des choses sur le niveau de culture d'un individu d'après la façon dont il supporte la douleur ; un être fruste se contente de crier ou d'endurer ses tourments, tandis qu'un être hautement cultivé est capable d'en tirer quelque profit. 
Nous lui jouâmes des tours perfides. Nous lui offrions notre amitié et notre affection, et quand il était prêt à les recevoir avec empressement, nous le brutalisions, le giflant ou le jetant à terre d'un coup de poing. Inlassablement, nous recommencions et cela ne lui apprenait rien. Nous l'accablâmes de pensées hostiles ; je crois qu'elles parvenaient à destination, car il semblait en éprouver une sorte de confusion accompagnée de grandes souffrances morales. Nous le soumîmes à des tortures physiques et c'est alors qu'une chose monstrueuse nous apparut. Il commença par crier de douleur, mais bientôt, il parut comprendre que ce traitement lui était personnellement réservé et alors il nous sourit. Obscurément, mais sans doute possible, tandis que nous lui brûlions la plante des pieds, que nous lui arrachions les bras ou lui crevions les yeux, nous nous sentions envahis par sa tendresse et son affection ; chez moi cela allait jusqu'à désirer qu'il consentît à me pardonner. 
Nous étions déconcertés et vaincus. Comment peut-on espérer civiliser des êtres incapables de réagir à la douleur autrement que par des sourires ? Quels progrès attendre de tels anormaux ? Nous étions sur le point d'abandonner quand nous nous vîmes menacés par le plus grand danger que nous eussions encore rencontré. 
Nous en fûmes bouleversés. 
Sans en connaître la cause, nous nous sentîmes soudain littéralement anéantis par une crise de joie. C'était pour nous quatre une félicité sans bornes de respirer l'oxygène de nos capsules, une nouvelle et délicieuse impression de sentir le dessus de nos mains frotter contre les gantelets protecteurs. Nous étions immensément heureux d'être ainsi anéantis et nous nous faisions peur nous-mêmes. Je crois que le Dr. Pound avait raison ; c'était de la crainte que nous ressentions, une crainte respectueuse. Mais je suis moins bon juge que lui ; je connais peu les manifestations de la crainte. 
Seul Rossi reprit partiellement possession de lui-même, juste à temps pour nous sauver. Avec le visage de l'ange de l'Annonciation, il nous dit de monter dans la nacelle. En extase comme des hommes pour qui un miracle s'accomplit, nous lui obéîmes. Il ranima le batelier étourdi et nous prîmes de la hauteur. Tandis que nous montions, nous distinguions, aussi loin que le regard pouvait s'étendre, une multitude de Vénusiens, la tête levée vers nous, nous poursuivant de leur amour. Rossi se vit obligé d'étourdir le Dr. Pound pour l'empêcher de les rejoindre en sautant par-dessus bord. 
Nous revînmes aborder à l'entrée de notre tunnel, que Rossi avait eu la précaution de marquer d'une décharge de solvateur, et nous y pénétrâmes. Le pouvoir de ces êtres débordants de tendresse diminua, mais nous ne nous en sentîmes libérés que lorsque nous fûmes parvenus à l'autre extrémité du tunnel. Ils l'avaient rebouchée avec un nouveau tampon. Nous le liquéfiâmes et sortîmes dans l'excavation creusée par notre bombe, heureux de retrouver la chaleur et le silence de la surface de Vénus. 
Nous en étions à notre trois cent quatre-vingtième heure et il nous restait donc encore du temps. Nous avions l'impression d'accomplir une sorte de cérémonie pour célébrer notre heureuse fuite et le succès, si mince fût-il, de notre mission, mais on ne pouvait rien fêter pour le moment. Rossi explora l'excavation de fond en comble et nous informa qu'il n'avait presque pas trouvé de sable, mais seulement une couche de poussière. Il pensait que le cratère ne serait jamais comblé, ce qui nous importait fort peu d'ailleurs. 
Quand nous fûmes remontés dans l'astronef et que nous en eûmes refermé hermétiquement les issues, nous nous assîmes dans la salle des commandes pour manger et philosopher un peu, reprenant, pour ainsi dire, notre rôle de projections de la Terre dans l'espace. 
— « Mon opinion est que nous avons échoué, » dit Bertel. 
— « Comment cela ? » demandai-je. « Nous avons découvert…» 
— « Oui, oui, » reprit-il, « nous avons découvert bien des choses. Mais qui diable se donnerait la peine de faire la guerre à des innocents de cette espèce ? Ils ne comprendront jamais rien. » 
Mais Rossi se montra plus optimiste. 
— « Il reste toujours Mars, » dit-il. « On peut se servir de Vénus pour faire la guerre à Mars. Mars doit être un ennemi capable de contenter les plus exigeants. » 
— « Puissent Vénus et Mars durer jusqu'à ce que la nature humaine ait changé, » dit Bertel. 
— « Quelle doive jamais changer est impensable, » dit le Dr. Pound. 
Bertel lui jeta un regard dédaigneux, mais il réserva ses arguments pour le moment où nous serions dans l'espace. Il était temps de décoller. 
Au moment où l'astronef s'élevait au-dessus du cratère creusé par notre bombe, Rossi s'avisa que nous avions omis une formalité. Le Président nous avait adressé des recommandations particulières à ce sujet quand il nous avait souhaité bon voyage si longtemps auparavant. Nous convînmes que la meilleure place pour l'objet était sur la paroi du fond de la caverne. Nous redescendîmes au sol, redébarquâmes et allâmes fixer la plaque de bronze à bonne hauteur sur le mur. On pouvait y lire : 
CETTE PLANÈTE A ÉTÉ DÉCOUVERTE 
PAR DES ÉMISSAIRES AUTORISÉS 
DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE. 
LA PERMISSION D'EXPLORER 
DOIT ÊTRE DEMANDÉE 
AU GOUVERNEMENT 
DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE 
TOUS DROITS D'EXPLOITATION RÉSERVÉS 
PAR LES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE. 
CONTREVENANTS PRENEZ GARDE ! 
(Traduit par Roger Durand.)

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Modifié en dernier lieu le 16.05.2024
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