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Opération Opéra TOM GODWIN

Opération Opéra TOM GODWIN 
 
Pour ses débuts dans « Fiction », Tom Godwin, nouvel auteur de SF américain, nous donne un conte que ne désavouerait pas Robert Sheckley. Cette satire légère nous présente une race étrange aux membres maniaques de l'opéra et esthètes jusqu'au bout des… oreilles. Il n'y a guère que le lieutenant Drake de la Police de l'Espace qui ne les trouve pas très comiques.  
 
 
La vedette spatiale du lieutenant Drake de la Police de l'Espace était posée près du parc d'agrément de la cité, lui offrant une éphémère sécurité, tandis que les habitants à peau violette de la planète Geffon se rassemblaient autour. Ils attendaient silencieusement qu'il en sorte et ne faisaient pour l'instant aucun geste hostile. Il tenta de se rassurer en pensant que le missionnaire Proctor était encore sain d'esprit lorsqu'il les avait décrits comme étant une race bien disposée envers les étrangers. Cela n'était d'ailleurs que moyennement rassurant puisque Proctor ne les connaissait que fort peu à ce moment-là… 
 
Soudain, le communicateur se mit à vibrer et la voix du surveillant Haffey du Bureau pour l'Avancement Culturel Extra-Terrestre – son supérieur temporaire – se fit entendre : 
 
— « Êtes-vous prêt à quitter votre vaisseau ? » 
 
— « Oui, chef, » répliqua Drake sans aucun enthousiasme. « Ils sont maintenant environ une centaine à m'attendre dehors. » 
 
— « Vous procéderez avec prudence, » dit le surveillant Haffey. « Vous avez vu ce qui est arrivé au missionnaire Proctor. » 
 
Drake pensa aux hurlements incohérents de Proctor résonnant dans les couloirs de l'hôpital, et dit : « Oui, chef, j'ai vu. » 
 
— « Le missionnaire Proctor était un de nos hommes les plus compétents et les plus expérimentés, et pourtant quelque chose d'horrible lui est arrivé à Geffon. Nous n'avons aucune idée de ce que cela peut être. Son premier rapport disait : « Les habitants sont très bienveillants et très intelligents. » Ou lui fit faire le tour de la cité, on le fit assister à de nombreuses pièces de théâtre, et son opinion était : « Cette race est très attachante. Ils sont doux, et font de grands efforts pour s'améliorer. Je pense que si le Bureau pour l'Avancement Culturel Extra-Terrestre leur montre le chemin, ils accéderont facilement à notre niveau intellectuel et spirituel.  
 
» Puis, un soir, il nous transmit : « Je suis très ému, je viens d'être fait aujourd'hui citoyen d'honneur de Greffon. » Ce fut son dernier rapport. On trouva son vaisseau une semaine plus tard dans un champ de choux près de Helltown sur Zimmerman V, et on finit par le récupérer dans un des bars de Helltown, riant hystériquement et répétant tout le temps : « Oh, ma jolie petite couronne de fleurs ! » De temps en temps, il s'arrêtait de rire pour dire : « Urk moom bug oogle… CLAC ! » et puis se mettait à hurler de terreur. 
 
» Vous êtes chargé de découvrir ce qui s'est passé à Geffon et a transformé en fou furieux le missionnaire Proctor. Vous allez maintenant quitter votre vaisseau et prendre contact avec les habitants, en procédant avec la plus grande prudence. » 
 
— « Bien, chef. » 
 

 
* * 
 
Vus de près les Geffoniens étaient des humanoïdes grotesques. Avec leur peau violette, leur crâne chauve pâlissant vers le sommet, leur nez bulbeux, et leurs énormes oreilles tremblotantes, ils ressemblaient furieusement à des gnomes. Mais leurs yeux étaient bruns, doux et intelligents. 
 
Deux d'entre eux s'avancèrent, et le plus grand dit : 
 
— « Nous sommes enchantés de vous accueillir officiellement sur la planète Geffon. Je m'appelle Goff, et mon ami…» (Goff indiqua son compagnon dont les deux yeux bruns semblaient éternellement tristes et rêveurs) « s'appelle Fuzzin. » 
 
— « Merci, » répondit Drake, qui ajouta avec franchise : « Je n'osais espérer une réception si chaleureuse. » 
 
— « Mais il ne nous viendrait pas à l'idée d'accueillir un étranger autrement ! » dit Goff. 
 
— « Mais oui, » ajouta Fuzzin, les yeux toujours rêveurs. Il soupira nostalgiquement. « Nous avons si peu de visiteurs et nous nous donnons toujours beaucoup de mal pour les rendre heureux, mais il n'ont jamais l'air de vouloir rester longtemps. » 
 

 
* * 
 
Dans la soirée, Drake fit son rapport au surveillant Haffey : 
 
— « Je n'ai jamais été accueilli aussi chaleureusement qu'aujourd'hui. J'ai fait la connaissance de nombreux Geffoniens et ils étaient tous, sans exception, aussi amicaux. » 
 
— « Tout à fait la description qu'en a fait le missionnaire Proctor, » dit Haffey. « Ils vous en ont parlé ? » 
 
— « Non, chef. » 
 
— « Y avez-vous fait allusion ? » 
 
— « Pas encore. Je ne me presse pas pour leur demander ce qui lui est arrivé – ils estimeraient peut-être utile de me faire une démonstration. » 
 
Les jours suivants n'apportèrent aucune lumière sur la question de savoir ce qui avait rendu fou le missionnaire Proctor. On emmena Drake voir les innombrables parcs ornementaux de la cite. On lui fit faire le tour de douzaines de galeries d'art. On l'invita quotidiennement à des réunions où l'on servait invariablement du jus de fruits lilas, d'une douceur parfaitement écœurante, dans de fragiles petites tasses, ainsi que des gâteaux roses, également écœurants. Les sujets de conversation tendaient toujours vers l'art, la musique, la poésie, et l'opéra. Il s'appliqua à paraître profondément intéressé par l'Art, et attendit patiemment qu'on parle du missionnaire Proctor.  
 
Mais on n'en parlait jamais, et le cinquième jour, tandis qu'invité par Goff et Fuzzin, il buvait du jus de fruits lilas, il décida que le sort qui advint à Proctor ne pouvait être pire que de retourner chaque soir à son vaisseau, pâle et écœuré par suite de l'absorption d'un litre de sirop. 
 
— « À propos, » dit-il à Goff, « vous ne m'avez jamais dit comment il se fait que vous parliez le langage de la Terre. » 
 
Il surprit une curieuse expression sur les visages de Goff et de Fuzzin. 
 
— « Oh ! – un terrien est venu ici récemment, » dit Goff. 
 
— « Ah ! Il est resté longtemps ? » 
 
— « Non, » dit Fuzzin tristement, « il est parti un soir très subitement. » 
 
Drake aurait volontiers poursuivi sur ce sujet, mais Goff changea brusquement de conversation. La sixième tasse de sirop incita Drake à poser une autre question : 
 
— « Que signifie : « Urk moont bug oogle ? » 
 
— « On peut traduire par : « Mon cœur est comme un pétale, triste et pâle, » répondit Goff. « C'est une phrase qu'on retrouve fréquemment dans nos chansons et poèmes. »  
 
— « Et le mot CLAC ? » 
 
— « CLAC ? » Goff écarquilla les yeux de surprise. « Ça ne veut rien dire du tout. » 
 
Drake ne s'endormit pas tout de suite ce soir-là. Il pensait au missionnaire Proctor répétant : « Mon cœur est comme un pétale, triste et pâle, CLAC ! » puis hurlant de terreur. 
 
Cela n'avait aucun sens. 
 

 
* * 
 
Le lendemain, il fut invité à voir un opéra au théâtre dirigé par Goff et Fuzzin. 
 
— « Nos théâtres sont notre gloire nationale, » dit Goff. « Nous sommes persuadés que ce sera le clou de votre visite à notre cité. Vous apprécierez beaucoup nos opéras. » 
 
— « Oui ! » Fuzzin approuva en hochant si vigoureusement la tête qu'il en ébranla ses oreilles. « Nous sommes un peuple d'artistes, de poètes et de musiciens et le théâtre est pour nous un moyen essentiel de nous exprimer. Le spectacle d'un de nos opéras sera pour vous une expérience infiniment délicieuse et émouvante. » 
 
— « J'en suis persuadé, » dit Drake, s'efforçant de paraître plus enthousiaste qu'il ne l'était en réalité. 
 
Le théâtre était déjà bondé lorsqu'il arriva. Fuzzin se chargea de le conduire à sa place au premier rang d'une grande quantité de sièges en bois. Lorsqu'ils furent installés, Fuzzin lui demanda fièrement si ce n'était pas en vérité une magnifique salle de spectacle. 
 
— « Splendide, merveilleux, » dit Drake poliment. « Mais n'avez-vous pas songé à garnir vos sièges de coussins ? » 
 
— « Des coussins ? » fit Fuzzin très étonné. « Nos représentations théâtrales sont destinées à élever et inspirer l'âme, et non à dorloter nos misérables carcasses. » 
 
— « Euh… bien sûr, » dit Drake en se tortillant sur son siège en un vain effort pour dorloter sa misérable carcasse. 
 
Et il dut rester immobile sur ce siège d'une dureté de granit pendant quatre heures d'affilée. Un baryton à cou de taureau agrémenté d'une guirlande de fleurs roses beugla et mugit sans fin tandis qu'une soprano grinçante et trop rembourrée lui donnait la réplique en glapissant. Enfin, le baryton poussa son dernier mugissement et tomba lourdement aux pieds de la soprano dans un nuage de pétales de fleurs roses qui tombaient du plafond. Le rideau se baissa et Fuzzin renifla bruyamment en s'essuyant les yeux. On entendait des reniflements pathétiques dans toute la salle derrière eux. 
 
— « Il est mort pour l'Art et la Beauté, » expliqua Fuzzin larmoyant. « N'avez-vous pas trouvé ce spectacle suprêmement beau et triste, lieutenant Drake ? » 
 
Drake se leva mais s'effondra immédiatement car son siège inconfortable lui avait coupé la circulation dans les jambes. 
 
— « Oui, » dit-il en se raccrochant péniblement à son siège, « c'est la plus triste expérience de ma vie. » 
 

 
* * 
 
Il assista à deux autres opéras les soirées suivantes. Fuzzin lui expliquait l'intrigue au fur et à mesure et Drake constata qu'ils se ressemblaient tous étrangement. La première fois, le baryton incarnait un jeune peintre nécessiteux qui avait produit un chef-d'œuvre auquel il ne manquait qu'une dernière petite touche de couleur – une couleur qu'il découvrit finalement dans les fleurs roses qui ornaient son cou – mais hélas trop tard. Le deuxième opéra racontait la triste histoire d'un jeune musicien nécessiteux qui avait composé un chef-d'œuvre auquel il ne manquait qu'un accord, qu'il trouva, après avoir mugi désespérément pendant quatre heures, en écoutant chanter un petit oiseau. Le troisième opéra était de nouveau l'histoire d'un jeune peintre nécessiteux qui trouva la touche de couleur qui lui manquait en regardant un arc-en-ciel… 
 

 
* * 
 
Au septième jour de son arrivée, Drake fut invité à une réunion plus nombreuse que d'habitude. Goff prononça un discours dans lequel il décrivait Drake comme étant « un homme de haute vertu morale, dont les aspirations vers des idéaux encore plus élevés méritaient que nous consacrions tous nos efforts afin de l'aider à les atteindre. » Il termina en annonçant : « C'est donc avec un grand plaisir que nous déclarons le lieutenant Drake, citoyen d'honneur de Geffon. » 
 
Drake fit un discours empreint d'une reconnaissance convenablement émue et constata, non sans surprise, que les yeux de nombreux Geffoniens présents étaient humides d'attendrissement. 
 
Goff lui tendit un gros volume intitulé le Code de la Vérité et de la Beauté. « Ceci, » dit-il, « est notre philosophie et notre guide dans la vie. Nous l'avons fait spécialement traduire en langue terrienne à votre intention. Nous espérons que sa lecture vous inspirera des pensées élevées. Nous espérons également que l'avenir verra éclore des relations toujours plus amicales et plus intimes avec la Terre. Ce sera pour nous une joie et un devoir de faire profiter tous les terriens de notre philosophie et de nos idéaux hautement intellectuels et spirituels. » 
 
Drake subit un quatrième opéra le même soir. Il s'agissait d'un jeune poète nécessiteux qui avait composé un chef-d'œuvre auquel il ne manquait qu'une rime. Il jeta un coup d'œil au livre en rentrant chez lui. Il était entièrement composé de phrases apparemment dénuées de sens, par exemple : C'est en s'efforçant d'atteindre les Hautes Sphères que l'âme s'affine… Il est nécessaire d'exprimer son adoration pour la Vérité et la Beauté pour connaître la joie et la gloire qui est la vie de l'Au-delà au Royaume de la Beauté Infinie… 
 
Il soupira, hocha la tête, et se dirigea vers le communicateur pour faire son rapport quotidien au surveillant Haffey. 
 
— « Je ne sais toujours pas ce qui est arrivé à Proctor, » conclut-il, « à moins qu'il ne soit devenu cinglé à force d'ingurgiter leurs opéras. » 
 
— « Ridicule ! » affirma sèchement Haffey. « Le missionnaire Proctor était lui-même un poète et un artiste de talent ; c'était un intellectuel cultivé et ses réactions aux opéras auraient été tout à fait différentes des vôtres. Il les appréciait certainement. 
 
» Vous n'avancez absolument pas. Maintenant que vous jouissez des droits et privilèges d'un citoyen de Geffon, vous pourrez faire demain un tour dans la cité. Vous emporterez le télérapporteur à trois dimensions. Peut-être pourrais-je tirer quelque chose des scènes que vous transmettrez à la Terre. » 
 
— « Bien, chef. Entendu. » 
 
Il coupa la communication et tout en sifflotant distraitement se demanda s'il n'allait pas se confectionner un sandwich avant de se coucher. Une pensée lui traversa l'esprit, et il s'arrêta net de siffler. 
 
Il venait de se rappeler que c'était le jour où il avait été consacré citoyen d'honneur de Geffon que le missionnaire Proctor avait transmis son dernier rapport. 
 

 
* * 
 
Il parcourut la cité le lendemain, muni du télérapporteur. Il ne vit rien de bien intéressant, mais il retransmit tout très consciencieusement.  
 
Dans la soirée il aperçut une piscine. Il en était assez loin, mais il put discerner quelques femelles à peu près nues qui posaient pour un groupe d'artistes. Le télérapporteur retransmettait cette scène depuis un moment quand des bruits de pas pesants et précipités se firent entendre derrière lui. Il se retourna et vit deux jeunes Geffoniens à l'air particulièrement robuste qui se précipitaient vers lui. Ils paraissaient extrêmement mécontents. 
 
Ils s'arrêtèrent devant lui et l'un d'eux dit : « Veuillez nous suivre au théâtre immédiatement. » 
 

 
* * 
 
Ils le conduisirent dans le couloir central du théâtre, puis dans un couloir secondaire qui menait au bureau de Goff et de Fuzzin à côté de la scène. On pouvait entendre un orchestre invisible ainsi que les habituels mugissements du baryton et les glapissements de la soprano. 
 
— « Ah ! parfait, » dit Goff en l'accueillant. « La répétition est déjà bien avancée. Veuillez vous asseoir ici d'où vous pourrez voir la scène. » 
 
Drake soupira avec résignation et s'assit. La scène était brillamment éclairée et un objet qui rappelait vaguement un billot trônait au milieu. Le baryton, placé d'un côté, mugissait quelque chose à l'intention d'une énorme soprano. 
 
— « Nous avons choisi une des Représentations Ultimes classiques, » dit Goff, « parce que nous n'avions pas beaucoup de temps, mais je suis sûr que vous serez content de la façon dont nous avons pu insérer votre rôle. » 
 
— « Mon rôle ? » Drake se tortilla sur son siège, « Je suis très flatté, mais je dois retourner immédiatement à mon navire. J'ai oublié d'éteindre mon workensnortzel et…» 
 
— « Lieutenant Drake ! En tant que citoyen de Geffon, vous n'ignorez pas qu'il vous est impossible de refuser de jouer dans votre Représentation Ultime. » 
 
Les deux jeunes robustes Geffoniens étant stratégiquement placés juste derrière sa chaise, Drake constata qu'un refus était effectivement impossible. Il soupira à nouveau. 
 
— « Cette pièce précédera la représentation normale, et votre rôle : sera très court et très dramatique, » dit Goff. « On vous, a fait un grand honneur : ces deux artistes sont le grand baryton Trimo et l'incomparable soprano Frilla » » 
 
— « Ah ! lieutenant Drake ! » Fuzzin se précipita sur lui en souriant amicalement d'un air préoccupé. « Nous approchons du moment de votre entrée en scène. Écoutez-moi bien :  
 
» Trimo est un jeune artiste nécessiteux qui a peint un chef-d'œuvre auquel il ne manque qu'une touche de couleur. » (Drake eut un frisson involontaire, mais Fuzzin ne parut pas le remarquer.) « Si son tableau gagne le premier prix, la belle Prilla l'épousera. Mais il ne peut trouver la couleur qui lui manque et il chante en ce moment son désespoir à Prilla. » 
 
La chanson de Trimo se terminait, et la musique devint plus lente, rythmée par les basses. 
 
« Alors, vous entrez en scène, vous le Terrien venu d'une autre étoile. Vous vous approchez de Trimo et de Prilla en marquant le rythme de la musique et vous vous agenouillez devant le billot. » Trimo et Prilla se remirent à chanter. « Ils vous accueillent avec des sourires et des chansons et Trimo vous confie ses soucis. Prilla suggère à Trimo que peut-être cet ami qui lui vient d'une autre étoile pourra lui fournir la couleur qu'il cherche… À ce moment, vous mettez votre tête sur le billot, et…» 
 
Prilla tira brusquement un énorme glaive de derrière son dos. Drake, qui ne s'y attendait absolument pas, sursauta. Prilla tendit le sabre à Trimo qui le prit en émettant un borborygme satisfait. Il le brandit et l'abattit d'un mouvement puissant en l'enfonçant profondément dans le billot. La musique alla crescendo et devint rapide et gaie pour accompagner les glapissements extasiés de Prilla et les mugissements triomphants de Trimo. 
 
Fuzzin gratifia Prilla et Trimo d'un sourire enchanteur tandis que le rideau tombait. 
 
— « Ne trouvez-vous pas que c'est une adaptation merveilleusement inspirante pour votre Représentation Ultime, lieutenant Drake ? Vous faites joyeusement le sacrifice de votre vie pour les aider et ainsi sa peinture gagne le premier prix. » 
 
— « Ah ! oui, » fit Drake vaguement. 
 
— « Oui. Il trouve la couleur qu’il cherche quand il vous coupe la tête et votre sang d'un rouge vif gicle…» 
 
— « Du sang ? » Drake sursauta. « Du sang ? » 
 
Il essaya de se lever, mais les grosses pattes des gardes le maintinrent sur sa chaise. Sa voix était rauque. « Vous voulez rire… cette espèce de gorille va me trancher la tête ? » 
 
— « Mais oui, » répliqua Goff. 
 
Drake essaya de nouveau de se lever de sa chaise. 
 
— « Mais qu’est-ce que c'est que cette folie ? » 
 
Goff prit un air de vertu outragée et expliqua : 
 
— « Aujourd'hui vous avez transmis à la Terre des vues de la Piscine de la Fleur Fragile, des vues des femmes nues qui posaient pour les artistes. Vous vous êtes ainsi rendu coupable du crime et du péché de pornographie. Lorsque vous avez accepté les droits et les privilèges de la citoyenneté geffonienne, vous acceptiez en même temps de vous soumettre à nos hautes règles morales. Cet état de péché mortel ne peut être toléré. Il est très clairement stipulé à la page cent quatre-vingt-dix-sept du Code de la Vérité et de la Beauté que « La Représentation Ultime purifiera l'âme souillée et la libérera afin qu'elle puisse atteindre le Royaume de la Beauté Infinie. » 
 
— « Mais les artistes – ils peignaient les modèles de tout près, » protesta Drake. 
 
— « C'est tout à fait différent, » dit Goff. « L'artiste cherche l'inspiration dans le modèle nu. Son œuvre exprime son amour de la Beauté, son âme. Votre machine n'a pas d'âme ni d'amour pour la Beauté. Elle ne fait que reproduire des scènes qui sont livrées à la concupiscence de ceux qui n'apprécient pas l'Art Véritable. » 
 
— « Concupiscence ? » Drake faillit s'étrangler. « Vous pensez sérieusement que quelqu'un ait envie de contempler vos gnomes femelles à oreilles en feuilles de chou et au nez en forme de tomate ? D'ailleurs…» 
 
Il s'arrêta car les paroles de la chanson de Trimo qui avaient précédé le CLAC ! du sabre s'enfonçant dans le billot venaient seulement de lui traverser l'esprit. 
 
Ces paroles étaient : Urk moom bug oogle.  
 
— « Ainsi vous vous disposiez aussi à assassiner Proctor ? » demanda-t-il. 
 
— « Euh… le missionnaire Proctor devait jouer sa Représentation Ultime, » dit Goff. « Mais il a manqué totalement de dignité – au lieu de rentrer en scène au moment prévu, il s'est enfui du théâtre et a regagné son vaisseau. Nous ne voulions pas vous gêner en vous racontant sa déplorable conduite indigne d'un Geffonien. » 
 
— « Et quel était son crime à lui ? » 
 
— « Le lendemain de son acceptation de la citoyenneté geffonienne, le missionnaire Proctor a invité un groupe de jeunes gens et de jeunes filles du Club d'Art et de Poésie du Bouton de Fleur. Il leur a servi ce qu'il appelait du thé et des petits fours. Bien entendu, ces pauvres jeunes gens innocents ne pouvaient deviner que ce « thé » était une boisson fortement intoxicante. Ils burent, et les passions animales prirent le dessus sur leurs habitudes de pureté et de vie élevée. Le bruit qu'ils faisaient nous a attirés vers le vaisseau, et nous avons trouvé ces jeunes gens et ces jeunes filles riant aux éclats en échangeant des propos intimes et suggestifs sur…» (Goff chuchotait presque) « la sexualité !  
 
» Au début, nous estimions hautement le missionnaire Proctor. Il semblait faire de grands efforts pour s'améliorer, et nous pensions que l'exemple et l'aide des Geffoniens l'élèveraient progressivement jusqu'à nous. Nous fûmes extrêmement déçus qu'il puisse se conduire d'une façon si vulgaire. » 
 
— « Il voulut nous faire croire qu'il y avait une différence entre le métabolisme terrien et geffonien, » dit Fuzzin, « et que le thé n'était pas pour les Terriens un aphrodisiaque intoxicant. Mais c'était un crime tellement choquant et…» 
 
Un bruit de sifflet se fit entendre et Goff dit : « Veuillez m'excuser, lieutenant Drake. Si je n'ai pas le temps de vous le rappeler avant que vous n'entriez en scène, souvenez-vous de tourner votre profil droit vers la salle quand vous vous étendrez sur le billot. » 
 
Il s'en alla précipitamment suivi du regard furieux de Drake. Un employé du théâtre apparut portant un grand panier, et Drake se demanda avec écœurement si ce panier était destiné à transporter sa tête. Mais l'employé en sortit des fleurs qu'il disposa en tapis depuis le billot jusqu'à l'endroit où Drake était assis. Il tendit une couronne de fleurs roses à Fuzzin avant de s'en aller. 
 
Fuzzin renifla les fleurs délicatement. « Que c'est beau, » dit-il. « C'est votre tiare. » 
 
— « Ma quoi ? » 
 
— « Votre tiare – votre couronne de fleurs. Elle symbolise la Transformation Sublime et vous la porterez pendant que vous traverserez le tapis de fleurs en allant au billot. » 
 
— « Comptez là-dessus ! » 
 
— « Mais il le faut. C'est la coutume. » Fuzzin plaça la couronne sur la tête de Drake et l'enfonça bien. « Ça va comme ça ? » 
 
— « Pas du tout. Elle me gêne et elle me gratte. » 
 
— « Je regrette, mais il faut que la couronne soit bien serrée comme cela ou elle risque de tomber dans le panier avant votre tête. » 
 
Drake eut un hoquet qui fut noyé par les premiers accords de l'orchestre. Le rideau se leva et Trimo commença à mugir. Prilla, de l'autre côté du billot, le regardait en cachant le sabre derrière elle. Drake cherchait un moyen de s'enfuir, mais n'en trouvait pas ; les gardes le tenaient toujours aussi fermement et leur poigne se resserrait chaque fois qu'il bougeait. 
 
— « Il n'y a rien sur mon vaisseau dont vous auriez envie ? » demanda-t-il à Fuzzin. « Je vous donnerai ce que vous voudrez – laissez-moi seulement de quoi repartir. » 
 
— « Quoi ? » demanda Fuzzin distraitement, les yeux fixés sur Trimo. 
 
Drake éleva la voix. « Je disais que…» 
 
— « Shh, s'il vous plaît ! » dit Fuzzin. « Trimo chante. » 
 
— « Il faudrait une sirène de bateau pour couvrir ce chahut. Dites-moi seulement si…» 
 
— « Silence, voyons ! » répéta Fuzzin. « Écoutez Trimo – voici un passage particulièrement émouvant de sa chanson de désespoir. » 
 
Drake eut un gémissement d'impuissance et se résigna à écouter. Les minutes s'écoulaient et il essuyait son front couvert de sueur à intervalles de plus en plus fréquents. Enfin Fuzzin parla de nouveau : « Il est presque temps que vous entriez en scène. Est-ce que tout va bien ? » Drake lui lança un regard torve et Fuzzin ajouta précipitamment : « Je voulais dire : des choses comme l'éclairage, par exemple. » 
 
Drake regardait avec désespoir la porte donnant sur le couloir et ne répondit pas. Elle n'était qu'à quelques pas et il n'y avait que Fuzzin entre lui et elle. Mais les lourdes mains des gardes étaient toujours sur ses épaules… 
 
Trimo s'arrêta de chanter et la musique s'alanguit, rythmée par les basses. 
 
— « Maintenant ! » dit Fuzzin. 
 
Les gardes le lâchèrent et il se leva. Trimo et Prilla regardaient vers lui avec impatience, et il crut entendre un soupir d'espoir venant des spectateurs invisibles. Brusquement, il entrevit vaguement un plan de fuite, et se mit à chanceler en faisant le premier pas. 
 
— « Mes jambes, » gémit-il à l'adresse de Fuzzin inquiet et surpris. « Elles se sont endormies. » 
 
— « Oh ! mon Dieu, mon Dieu !…» Fuzzin s'agitait fébrilement. « Il est considéré comme de très mauvais goût de faire attendre les spectateurs. Ne pouvez-vous pas marcher du tout, lieutenant Drake ? » 
 
— « Dans un instant, » dit-il, en s'éloignant insensiblement des gardes en chancelant et en agitant les jambes comme pour les ranimer, « Ça ira mieux dans un instant. » 
 
Il était parvenu à s'éloigner de quelques pas des gardes vers le fébrile Fuzzin et vers la porte du couloir, lorsqu'un des gardes eut un soupçon. Drake arracha sa couronne et la lui jeta à la tête. Le garde hurla « Hoom goop ! » tandis que son visage disparaissait sous les pétales roses. Les deux gardes se ruèrent sur lui comme des taureaux. Il les évita et, se tournant vers Fuzzin stupéfait, lui donna un coup d'épaule dans l'estomac. Fuzzin émit un ouf ! aigu et sa tête chauve alla cogner le mur avec un bruit tout à fait satisfaisant pour Drake. 
 
La main d'un des gardes effleura son col au moment où il se précipitait par la porte du couloir. Il courut, les bras écartés pour se guider dans le noir. Il atteignit le virage à angle droit plus tôt qu'il ne l'attendait, et une lumière blanche fit explosion dans son cerveau tandis que son nez s'écrasait contre le mur. Étourdi, il chancela, mais les hurlements des gardes étaient derrière lui tandis que la faible lumière marquant la sortie était devant. Il crut entendre, à travers les cris et le bruit de course, un appel pathétique et éloigné de Fuzzin : 
 
— « Lieutenant Drake… attendez ! » 
 
Le bruit de sa propre respiration l'empêchait d'entendre les rumeurs de poursuite quand il atteignit enfin son vaisseau. Il poussa la porte extérieure derrière lui, négligea la porte intérieure, et se précipita à la cabine de contrôle. Il n'attendit même pas d'être assis dans le siège de pilotage pour pousser le levier d'accélération. Et il vit la plus belle scène de toute sa vie : la planète Geffon qui s'éloignait sous le vaisseau. 
 

 
* * 
 
Geffon était loin derrière, et la provision d'alcool de grain du bord à moitié liquidée avant que son pouls fût revenu à la normale et son rapport au surveillant Haffey terminé. 
 
— « Et voilà ce qu'il est advenu du plan de Proctor pour convertir les Geffoniens, » conclut-il. Il baissa la tête pour tâter doucement son nez enflé, et quelques pétales roses tombèrent dans son verre. Il les récupéra en s'efforçant de ne pas rire nerveusement, et dit : « Les Geffoniens sont une race de maniaques. Personne ne pourra jamais leur apprendre quoi que ce soit. » 
 
Le surveillant Haffey soupira. « Oui, vous avez tout à fait raison. Nous espérions les élever à notre niveau, mais ils constituent une menace pour notre propre culture : ils n'ont aucune moralité et ne distinguent pas le Bien du Mal. On ne fabrique pas de l'or avec du plomb. » 
 

 
* * 
 
Goff et Fuzzin étaient devant le théâtre et regardaient les traces de fusée du vaisseau qui s'éloignait rapidement dans le ciel nocturne. 
 
— « Il est parti, » dit Goff tristement. « Je ne pense pas qu'il revienne un jour. » 
 
Fuzzin soupira mélancoliquement. « Ils ne reviennent jamais. Nous avions tellement à offrir au peuple terrien, nos idéaux élevés et nos doux et nobles préceptes. Nous aurions pu les élever à notre niveau. » Il soupira de nouveau et toucha avec précaution la bosse bleue qui ornait son crâne. « Ils sont tellement intolérants – tellement barbares. Ils doivent être fous. » 
 
— « Vous avez tout à fait raison, » dit Goff. « Pour la sauvegarde de notre propre culture, nous devons malheureusement abandonner toute idée de les guider. Ils n'ont aucun sens moral et ne distinguent pas le Bien du Mal. On ne peut pas peindre un chef-d'œuvre avec de la boue. » 
 
(Traduit par Évelyne Georges.)

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Modifié en dernier lieu le 16.05.2024
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