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La venue du héros par IDRIS SEABRIGHT

La venue du héros par IDRIS SEABRIGHT 
 
Un de ces contes dont Idris Seabright a le secret : une vision en raccourci, mi-insolite mi-sarcastique, d’une tranche de futur à l’ambiance improbable. Avec comme base le thème qui semble hanter l’auteur : l’être humain en proie à ses démons intérieurs, (Dédié aux nombreux lecteurs qui ont réclamé du Seabright en répondant à notre référendum.) 
 
« JE réclame l’application du traité ! » pépia Appy d’une voix rauque, en claquant des ailes. 
Les petits yeux de Charleen se plissèrent avec obstination, elle déclara : 
— « C’est un vieux traité. Périmé. J’en ai assez de vous voir venir m’embêter, vous les oiseaux. » 
— « Il est peut-être vieux, mais il n’a jamais été annulé. Nous vous avons laissé à perpétuité, à vous autres Terriens, la libre disposition du pays, pour installer votre station-service de fusées. En échange, vous avez accepté, également à perpétuité, de donner à chaque mâle en âge de fonder un nid un revêtement de plastique enjoliveur pour ses ailes. Et de nous aider à empêcher l’éclosion de l’œuf du monstre griffu. » 
— « Ce monstre n’est qu’un mythe. » répliqua Charleen, pour déplacer la discussion. 
— « Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? » s’exclama Appy, outré, « Vous avez vu l’œuf vous-même. Il est parfaitement visible sous la paroi nord de la station, juste à côté de cette tour. Les gens qui ont fait le traité avec nous ne l’avaient pas pris pour un mythe ! » 
Charleen fit la grimace. Peut-être se dit-elle que la meilleure manière de se débarrasser d’Appy, pour pouvoir retourner à sa perpétuelle songerie, était de lui accorder ce qu’il était venu chercher. Quoi qu’il en fût, elle fouilla dans un tiroir, en sortit un bon de réquisition et le remplit. 
— « Et pourquoi voulez-vous ces revêtements enjoliveurs, d’ailleurs ? » questionna-t-elle avant de lui donner le papier. 
— « Vous ne le savez pas ? » demanda Appy, choqué de tant d’ignorance. « Pour nous aider à faire notre pariade, naturellement. Pour nous rendre plus séduisants aux yeux des femelles. Notre taux de couvaison baisse constamment. Cela nous préoccupe. 
» Je ne comprends pas pourquoi vous nous rendez les choses si difficiles. Même d’entrer à la station n’est pas commode. J’ai perdu une ou deux plumes en m’introduisant par la poterne sud. Mon frère autrefois n’a pas eu tant de mal pour obtenir son revêtement. Vous faites travailler constamment les machines épandeuses de plastique pour rétrécir les entrées et rehausser les murs. » 
Charleen esquissa un petit sourire entendu. Elle lui tendit le bon de réquisition. 
— « Bâtiment de l’Administration, deuxième étage, » dit-elle. « Ne revenez pas me déranger. » 
Appy saisit le papier et le fourra dans sa poche ventrale. Il s’en alla tout joyeux en se dandinant. 
Charleen le regarda partir. Quand la porte se fut refermée, elle amena l’index de sa machine sonore sur SIEGFRIED : ACTE III. Elle ouvrit une boîte de chocolats prise à la réserve – elle se nourrissait presque exclusivement de chocolats ces derniers temps – et tourna le bouton de sa machine. Puis elle s’étendit sur la chaise longue. 
La musique commença à dérouler ses fastes. Charleen croquait des chocolats fourrés à la crème et rêvait. Au bout de dix minutes environ, elle se leva et manœuvra les boutons qui commandaient la mise en marche des machines épandeuses de plastique, pour augmenter la hauteur des murs de la station. Des remparts, de vrais remparts à faire escalader par son héros. Comment pouvait-elle s’attendre à ce que Siegfried surgît et vînt l’éveiller, s’il n’avait pas de remparts à escalader ? Il faut des remparts pour un héros. Bien entendu. 
Elle s’étendit à nouveau sur la chaise longue et prit un chocolat. Les ressorts grincèrent. 
*** 
Entre temps, Appy avait découvert le bâtiment de l’administration. Celui-ci avait été installé à une époque où le trafic interplanétaire était infiniment plus intense qu’à l’heure actuelle, et où la station de réparation avait abrité un nombreux personnel humain. Maintenant il ne s’y trouvait plus que des robots, ce qui était fort heureux pour Charleen. Elle n’aurait jamais pu cacher à ses semblables l’état grandissant d’hallucination où elle sombrait. 
Appy entra. Au second étage, il tendit le bon à un robot humanoïde qui tenait un guichet. 
— « Tournez à droite, puis tout droit jusqu’au fond. » dit le robot. 
Appy obéit. Il tremblait d’énervement. Il se retrouva dans une cabine meublée d’un perchoir pour se poser, avec un orifice à hauteur d’aile qui était juste de la largeur d’une aile. 
— « Insérez votre aile droite dans l’ouverture, » dit une voix. « Quelle couleur de revêtement désirez-vous ? » 
— « Rouge. » répliqua aussitôt Appy. Rouge était la couleur favorite de Clete. Oh ! mes aïeux ! 
La pulvérisation commença. Cela piquait et chatouillait un peu, mais ce n’était pas du tout désagréable, en fin de compte. Se tordant le cou pour voir le bout de son aile, Appy se rendit compte qu’elle prenait une merveilleuse teinte, d’un rose tyrien. C’était une couleur ravissante. Quand Clete la verrait, elle… Oh ! mes aïeux ! Ils allaient se marier ! Et ce qu’elle aurait comme œufs ! Une douzaine par couvée ! Oh ! mes seigneurs ! Quel nid ils auraient ! 
La pulvérisation cessa. 
— « L’aile gauche, maintenant. » dit la voix. 
Appy inséra son aile gauche. La pulvérisation commença. Et presque aussitôt s’arrêta. 
— « Qu’est-ce qui se passe ? » demanda Appy au bout d’un instant, « J’attends toujours. Continuez mon revêtement. » 
Il n’y eut pas de réponse. Appy se secoua sur son perchoir. Il donna un coup de patte au panneau où se trouvait l’ouverture. Rien ne se produisit. Il attendit. Il émit un couac. Rien. À la fin, il retira son aile gauche. 
Elle était affreuse. Les quelques gouttes de plastique qui s’y étaient déposées donnaient à sa teinte habituelle gris olivâtre un air légèrement décomposé. Cette aile donnait l’impression d’avoir longtemps séjourné sous terre. 
La déception d’Appy était extrême. Il retourna au guichet et tenta de dire au robot humanoïde que l’aspergeuse ne marchait pas, mais le robot, dont le mécanisme n’avait pas été adapté à pareille situation, ne lui répondit pas. De guerre lasse, Appy retourna à la tour où se trouvait Charleen. 
Il entra en se dandinant silencieusement. Charleen, tirée d’une rêverie exceptionnellement vivace, ne le reconnut pas. 
— « Enfin vous voilà, » murmura-t-elle. « Mon héros. Je savais que vous viendriez. » 
Appy émit un son surpris, mi-couic mi-couac. Charleen le regarda mieux. 
— « Oh ! » fit-elle, « c’est vous. » 
— « Bien sûr que c’est moi. Qui croyiez-vous que ça pouvait être ? La machine à revêtement ne marche plus. » 
— « Pourquoi venir me dire ça à moi ? » rétorqua Charleen, en se redressant sur sa chaise longue. Elle était manifestement furieuse. 
— « Je veux que vous l’arrangiez. » 
— « Je ne sais pas quoi faire. » 
— « Bien sûr que si ! N’importe qui le pourrait. Vous ne seriez pas chargée de la station si les inspecteurs ne vous avaient pas jugée capable de faire de petites réparations. » 
Charleen se frotta le front. 
— « Peut-être. Mais j’ai oublié pas mal de choses. » dit-elle d’une voix qui dénotait une hébétude nullement feinte. 
— « Eh bien, arrangez ça. » 
Les yeux porcins de Charleen l’examinèrent. Elle s’approcha de la fenêtre et jaugea du regard le mur d’enceinte de la station. Elle fronça les sourcils. Elle revint inspecter les cadrans qui enregistraient les activités des plastiqueuses. 
— « Bizarre, » dit-elle d’une voix sans timbre. « Je trouvais bien aussi que les murs n’avaient pas l’air plus hauts. Elles se sont toutes arrêtées. » 
— « Toutes quoi ? » questionna Appy. 
Charleen ne lui répondit pas. Elle se dirigea vers une armoire à outils (comme tous ceux que n’intéresse pas la bonne tenue d’une maison, elle entassait tout dans la même pièce), elle y fourragea et en ressortit une poignée de clefs anglaises et de tournevis. 
— « Je vous prêterai ça, » dit-elle, « si vous me promettez d’arranger les plastiqueuses du mur d’enceinte. » 
— « Qu’est-ce qui vous fait penser que je peux les arranger ? » demanda Appy, d’un ton plutôt flatté. 
— « Vous, les oiseaux, vous êtes toujours à croasser que vous seriez de si bons mécaniciens si seulement vous aviez des outils. » 
Appy battit pensivement des ailes. De sa vie il n’avait tenu un tournevis dans sa faible petite pseudopaume. Mais Charleen était manifestement incapable de réparer quoi que ce fût et le rôle de mécanicien n’était pas sans attrait. 
— « D’accord. » 
Charleen lui donna les outils. 
— « Rappelez-vous, vous avez promis d’arranger aussi les machines du mur. » 
— « Oh ! oui. » 
Appy enfourna la poignée d’outils dans sa poche ventrale et sortit en se dandinant de toute la vitesse dont il était capable. Charleen, qui perdait de plus en plus le nord au fil des heures, s’étendit à nouveau sur la chaise longue. 
*** 
Appy mit environ une heure à dévisser le panneau où se trouvait la fente d’insertion de l’aile. Quand il l’eut enlevé, il fut incapable de s’y retrouver dans ce qu’il y avait à l’intérieur de la machine pulvérisatrice. Il tapota deux fois les connexions avec le tournevis. Rien. La troisième fois, il y eut un psst ! aigu, une étincelle bleue et un nuage de fumée. Il avait provoqué un court-circuit. 
Cela n’avait rien d’étonnant, puisque la machine souffrait seulement d’un engorgement de tuyau dans le mécanisme de pulvérisation. Le courant y passait toujours. Le cas des plastiqueuses sur le mur était différent ; leur réserve de plastique liquide était épuisée. Le rôle primitif des plastiqueuses avait été de permettre des colmatages très réduits sur les parois internes des fusées : Charleen avait épuisé en quatre mois une réserve de deux ans. 
Appy ne savait que faire. Il n’avait aucune envie d’aller prévenir Charleen qu’il avait démoli quelque chose. Il agita nerveusement le bout de ses ailes pour faire partir la fumée. Celle-ci devint plus dense. Il l’éventa plus fort. Si bien qu’une langue de feu jaune apparut. 
Appy lança un pépiement aigu. Il bondit d’une patte sur l’autre, torturé par l’indécision. Puis il plongea l’aile dans la machine et tira désespérément sur les fils. Il en arracha une pleine poignée. 
Il reçut une secousse qui l’ébranla jusqu’à l’extrême pointe des pennes de sa queue. Il déclencha par la même occasion un incendie de première classe. 
Pendant un instant, il contempla, stupéfait, les volutes de fumée noire et la flamme dansante rougeâtre. Puis il tourna les ergots pour se précipiter dans le corridor, passa devant les employés robots et émergea à l’air libre. L’incendie avait peut-être éclaté par sa faute, bien sûr, mais il n’avait pas l’intention de périr rôti. 
Une fois dehors, il escalada en s’aidant de ses ailes le tas de réserves. Il se refusait à aller avertir Charleen qu’il avait mis le feu au Bâtiment de l’Administration, mais il voulait voir ce qui se passerait. 
Les fenêtres du bâtiment vomissaient une épaisse fumée noire. De temps à autre, quand le vent changeait, il apercevait, à travers les nuages de fumée, le rouge ardent d’un féroce incendie. Le système de lutte automatique contre le feu s’était mis en branle, bien sûr, dès que la chaleur de l’incendie avait atteint le plafond ; mais le système d’aspersion automatique, comme bon nombre d’autres choses confiées aux soins de Charleen, aurait eu besoin de réparations. Il y avait une fuite dans le conduit, près des pompes. Les aspergeurs se mirent en position, mais pas une goutte d’eau n’en sortit. Le Bâtiment de l’Administration continua de brûler. 
Deux ou trois minutes passèrent. Puis une sonnerie d’alarme retentit. La porte du poste d’incendie roula sur ses glissières. L’équipement automatique de lutte contre l’incendie sortit. 
L’équipement de lutte contre l’incendie était en meilleur état que bien des choses dans la station. Des tuyaux déversèrent des torrents de neige carbonique et des jets d’eau-surmouillante. Des robots jetèrent du sable humide sur les paquets de braise. En une demi-heure, il ne restait plus de l’incendie d’Appy que quelques filets de fumée. 
Appy, un peu ankylosé d’être resté immobile à regarder, descendit péniblement jusqu’à terre. Ç’avait été un incendie de première classe. 
Une fois en bas, il se mordilla le bout de l’aile d’un air indécis. Il voulait toujours son revêtement enjoliveur ; il lui faudrait donc tôt ou tard affronter Charleen. Mais il redoutait cette épreuve. Il le ferait demain. Le soleil descendait déjà à l’ouest et dans une heure ou deux, il serait couché. Oui, demain. Pour l’instant, il avait besoin de se reposer. 
Il ne voulait pas passer la nuit à la station. Il se fit tout mince pour se faufiler par la poterne sud, trouva un arbre avec une branche orientée comme il convenait et sauta dessus. Il fourra sa tête sous son aile droite, celle qui avait le revêtement plastifié, puis s’endormit. 
*** 
Le tintement de la sonnerie d’alarme avait partiellement tiré Charleen de son éternelle hallucination. Elle resta étendue sur sa chaise longue pendant quatre ou cinq minutes à se demander de quoi il s’agissait. Puis elle alla regarder par une des fenêtres de la tour. 
Un rideau de flammes rouges léchait avidement le toit du bâtiment administratif. Les mains de Charleen se joignirent d’admiration, sa bouche béa de ravissement. Elle regarda, fascinée, les pompes d’incendie automatiques combattre avec efficience les belles flammes. Quand le feu fut éteint, elle soupira. 
Elle retourna à sa chaise longue et s’assit dessus lourdement. Elle prit un chocolat et le reposa dans son alvéole de papier gaufré. Elle n’avait pas envie de chocolats. Elle voulait… Elle resta figée sur son Siège. Elle se mettait à penser. 
Des remparts… en plastique, élaborait lentement son cerveau, non… pas ça. Aucun héros… n’a jamais escaladé… de telles murailles… Pour un héros… il faut des murailles… de feu. 
Ses petites pupilles égarées se dilatèrent. Elle hocha la tête. En résumé, Charleen pensait qu’on ne pouvait s’attendre à voir Siegfried parvenir jusqu’à elle s’il n’y avait pas de remparts ardents à franchir. L’essence d’un héros comme Siegfried, c’est le feu. Le feu. 
Elle se leva et se mit à fouiller dans les armoires et les placards. Elle avait dû faire de la soudure à la thermite il y avait deux ou trois ans ; si seulement elle retrouvait… Oui. C’était là, il y en avait une quantité, et aussi un ruban de magnésium. De quoi faire un feu splendide. 
Charleen rit. Elle enfila ses vêtements de travail et prit les boîtes de thermite. Puis elle sortit de la tour. 
Le soleil était presque couché. Non sans quelque difficulté – elle pesait presque cent kilos – Charleen appuya une échelle au mur et y grimpa. Avec la concentration d’esprit d’une maniaque, elle se mit en devoir de disposer un ruban de thermite sur tout le circuit, tout autour de la station-service. Elle passa à côté des plastiqueuses sans même leur jeter un coup d’œil. 
Revenue à son point de départ, elle descendit quelques barreaux de l’échelle et alluma le magnésium avec précaution. Elle le jeta en plein sur la thermite. 
Le plastique du genre que débitaient les machines de Charleen brûle malaisément. Mais presque n’importe quoi s’enflamme avec entrain sous l’aiguillon de la thermite en feu. Charleen descendit précipitamment au bas de son échelle. Elle regarda avec satisfaction ce qu’elle avait accompli. 
Le plastique continuait à brûler. Il sentait mauvais. Il grésillait. Il dégageait une chaleur désagréable. Mais Charleen avait indubitablement créé un rempart de flammes. C’était une muraille de feu dans la nuit grandissante. 
Charleen revint à son tour. Elle enleva sa cotte de travail et s’allongea sur sa chaise longue. Elle prit un chocolat, le dégusta avec lenteur et délice. Maintenant il viendrait. 
*** 
Sur sa branche, dans la clairière, Appy s’éveilla en sursaut. Il étouffait de chaleur. 
Quand il eut découvert la source de son malaise, il fut abasourdi. Il contemplait les remparts en feu avec stupeur. Deux incendies le même jour ? Qu’est-ce que cela signifiait ? Avait-il, par quelque inadvertance, provoqué le second ? 
Il sauta à bas de l’arbre et s’en fut nerveusement, cahin-caha, un peu plus loin. Le plastique continuait de brûler. L’atmosphère devenait irrespirable. 
Là-bas, dans la station, monta le bruyant appel d’une sonnerie d’alarme ; il fit se froncer de mécontentement les sourcils de Charleen, qui croquait maintenant son troisième chocolat. La porte du poste contre l’incendie s’ouvrit. L’équipement de lutte automatique se mit en route. 
Mais il s’arrêta. Il s’arrêta parce qu’un tremblement de terre secoua le terrain devant lui. Du moins Appy, qui surveillait l’incendie du haut d’un tertre avec inquiétude, pensa-t-il que l’ondulation du sol était due à un tremblement de terre. En fait, elle n’avait rien à voir avec une véritable activité sismique. Mais elle avait suffi à stopper l’équipement de lutte contre l’incendie. 
Celui-ci redoubla de rage. Les arbres autour d’Appy commencèrent à crépiter. La terre trembla encore. Des pierres tombaient des murs qui entouraient la station. Un fragment du bâtiment administratif, miné par le premier incendie, s’effondra avec un sourd fracas. La sonnerie d’alarme retentit encore. 
Charleen, grignotant toujours des chocolats, attribua ce vacarme à la venue de Siegfried. Appy, sur son tertre, se montrait plus perspicace. Après le troisième « séisme », il comprit ce qui arrivait. Il fut saisi d’horreur. 
L’œuf de griffu, sous l’effet de la chaleur, était en train d’éclore ! 
Il fit demi-tour et courut. Ses ailes battaient, ses pattes martelaient le sol avec l’énergie du désespoir. Jamais de sa vie il n’avait couru si vite. Enfin, parvenu à distance respectueuse, il s’arrêta et regarda en arrière. 
Une énorme, une affreuse tête d’ophidien se dressait par-dessus les remparts en feu. Les yeux reflétaient de toutes leurs facettes l’éclat rouge de l’incendie, le cou avait l’épaisseur d’un tronc d’arbre. Appy en était glacé rien que de les voir. Il avait entendu parler de la monstruosité du griffu depuis qu’il était oisillon. C’était pire qu’il ne l’avait imaginé. 
La tête s’abaissa et disparut. Il y eut un formidable fracas de verre brisé et un bruit de bois qui craque. Au bout d’un moment, la tête réapparut, tenant délicatement Charleen entre ses mâchoires à la formidable denture. Charleen avait une expression de parfaite béatitude. Elle tenait une boîte de chocolats dans la main. 
Ses lèvres remuaient ; si Appy avait été assez près, il aurait entendu ces mots : « Siegfried ! Mon héros… enfin ! » Dans les mâchoires du griffu, Charleen était heureuse ; enfin on l’enlevait. 
Appy cependant n’en savait rien et s’en moquait éperdument. Quand la tête réapparut avec Charleen, il s’était déjà remis à fuir. Son cœur était plein de désespoir. La station brûlait, la machine à revêtement enjoliveur était démolie, jamais il n’obtiendrait Clete maintenant. Cette grosse couvée resterait à jamais un mythe. La forêt était en feu. Et qu’adviendrait-il du monde des oiseaux maintenant que l’œuf de griffu était éclos ? 
Le premier griffu avait décimé sans merci les ancêtres d’Appy. Il avait fallu sacrifier la moitié des meilleurs d’entre eux pour le tuer. Le nouveau griffu était encore plus gros. C’était évidemment la fin du monde, la fin de tout. Que deviendrait maintenant le taux de couvaison du peuple des oiseaux ? Appy aurait voulu n’avoir jamais demandé ce revêtement de plastique enjoliveur. 
  
(Traduit par Arlette Rosenblum.)

(c) Bernard SAUNIER - Créé à l'aide de Populus.
Modifié en dernier lieu le 16.05.2024
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