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Une créature de rêve - STUART PALMER

 
Une créature de rêve - STUART PALMER 
  
Stuart Palmer est surtout connu comme auteur policier et créateur de l'inénarrable héroïne qu'est la vieille institutrice Hildegarde Withers1 . Mais il écrit aussi de temps à autre des nouvelles fantastiques pleines d'humour et de charme. Vous avez pu déjà en lire une ; « Ce que femme veut » (n° 46 de « Fiction »). En voici aujourd'hui une seconde, qui nous fait regretter qu'il ne se consacre pas plus souvent à ce genre.  
    
En un point seulement, les rêves d'Herbert Bemis se différenciaient de ceux du commun des mortels – ce qui ne les empêcha pas de provoquer une tempête cosmique dont l'écho se répercute encore aux confins de l'Univers. 
Tout le monde rêve, c'est bien connu. Mais enfin, dans la plupart des cas, les rêves ne sont que rêves, sans plus – des montages extravagants qui vous passent par la tête à la vitesse de l'éclair lorsque vous dormez et qui crèvent en bulles à la surface du subconscient pour ne laisser au réveil, si même ils n'ont pas entièrement disparu, qu'un souvenir fugace. 
Or, à ce point de vue, Herbert Bemis était un être exceptionnel. Ainsi qu'en font foi les archives – ou plutôt, ainsi qu'elles en faisaient foi – ses rêves étaient d'une nature entièrement différente. De sorte qu'une belle nuit, Fola Mason en chair et en os – mais quelle chair ! – descendit Hollywood Boulevard tout le long duquel elle provoqua des échauffourées sans gravité ; après quoi, elle poussa sa Jaguar rouge dans Wilshire Boulevard où il se fit une fort belle série d'embouteillages, de pugilats homériques et d'autres incidents analogues. 
Car Fola était à la lettre le plus terrible numéro que le sexe faible eût jamais produit depuis les temps lointains où Hélène de Troie lançait par milliers les navires-aux-rames-légères sur les îlots et provoquait l'incendie des hautes tours d'ilion. 
Fola Mason procédait en même temps de la fiction et de la réalité. Son ombre se détachait nettement sur le sol, et l'on notera en passant qu'elle était magnifiquement pourvue sous le rapport du physique. Point n'est besoin de vous faire un croquis – mais enfin, il ne fait guère de doute qu'elle eût donné des complexes d'infériorité à miss Amérique. De surcroît, intelligence remarquable. On dit qu'elle avait fait la preuve du fameux Théorème de Fermât (qui depuis plus de trois siècles laissait tous les mathématiciens déconfits) et qu'elle était capable d'expliquer les théories d'Einstein à un enfant de cinq ans. En un mot, c'était quelqu'un. 
Fola était donc une adorable créature de rêve, assaillie de financiers barbons et libidineux possédant yachts et cols de fourrure, assiégée par les directeurs de studios en quête de chair fraîche, les gros pontes du cinéma et de la télévision, et divers autres personnages de non moindre envergure. Mais elle avait été conçue de manière insolite. Elle n'est désormais plus de ce monde, et nous n'en retrouverons jamais une comme elle. 
Car elle naquit d'un rêve d'Herbert Bemis, et quand Herbert rêvait, c'était pour de bon. Fort heureusement pour son prochain, il ne lui arrivait presque jamais de cauchemarder. Il n'en possédait pas moins une imagination prodigieuse, un peu trop exacerbée peut-être par une consommation à haute dose de brochures populaires et de films sensationnels. Il avait naturellement comme la plupart d'entre nous toute une série de désirs refoulés, d'inhibitions et de complexes, et peut-être même, s'il rêvait avec plus de force et de truculence que son prochain, était-ce dû à la monotonie de base de sa petite vie de tous les jours. Tout au fond de lui-même il voulait « Autre Chose » – sans d'ailleurs savoir quoi au juste. 
En apparence, Herbert Bemis était très proche de l'Homme du Commun, de l'Homme de la Rue, et l'on peut réellement dire que son curriculum vitae était plutôt court et banal. Vingt-huit ans, un brin d'embonpoint et un front qui commençait à se dégarnir. Diplômé d'une petite université de province. Deux ans sous les drapeaux avec les galons de caporal. Enfin, et après un stage abrégé d'électronique, réparateur de postes de télévision à Burbank (Californie). L'avenir ne lui réservait probablement rien de mieux, sinon, et à tout casser, la possibilité de s'établir un jour à son compte. Il aimait le base-ball, la cuisine mexicaine et italienne bien épicée, les gros nœuds de cravates, un ou deux demis de bière après le travail, et les filles. Disons toutefois que le temps passé en compagnie de ces dernières se traduisait presque continuellement chez lui par de l'embarras et un profond hébétement. 
Aux yeux d'un observateur objectif, Herbert Bemis aurait donc semblé issu d'un moule standard, celui de l'Homo Americanus Vulgaris. Son destin était apparemment tout tracé. 
Un jour viendrait où il épouserait quelque agréable petite secrétaire, archiviste ou standardiste, versant du même coup la première mensualité d'une maison de campagne achetée à crédit. Un peu plus tard il aurait à surveiller deux ou trois enfants, cinq ou six fleurs, quelques mauvaises herbes et beaucoup de chiendent. Il bavarderait avec le voisin par-dessus leur mur mitoyen, s'endetterait au-delà de ses possibilités en achetant à crédit son mobilier et le dernier modèle d'automobile sorti, tout en accomplissant par ailleurs la plupart des fonctions naturelles propres à sa race et à sa classe. 
Or, tel ne devait pas être le cas. Herbert Bemis n'avait pas d'avenir. Ou plutôt, et précisément à cause du caractère insolite de ses rêves, il en avait beaucoup trop. Ses rêves étaient de somptueux technicolors et, nous l'avons déjà dit, des réalités.  
Il ne serait jamais venu à l'idée de personne qu'un tel phénomène fût possible. Il ne s'était jamais encore produit, et maintenant que les Autorités Compétentes ont mis bon ordre à la chose, il est évident qu'elle ne se reproduira plus. Mais enfin, une fois est une fois, et ce fut celle d'Herbert : dès qu'il se mettait à rêver, son rêve, quel qu'il fût, devenait obligatoirement réalité. On en verra tout à l'heure le surprenant « pourquoi ». 
Dieu merci, Herbert lui-même était le premier à tout ignorer de son étrange pouvoir. Il ne s'était jamais réveillé en pleine nuit sous l'aile noire de l'épouvante pour constater que ses fantômes devenaient des réalités. Pour fantastiquement vraies qu'elles fussent, ses visions passaient dans l'espace et le temps, mais le laissaient indemne. Un rêve n'est qu'un rêve, estimait-il, quelle que soit l'intensité d'excitation et de satisfaction qu'il provoque. Même s'il s'en souvenait à son réveil, il avait tout oublié avant le dernier coup de rasoir. Jamais l'idée ne lui serait venue de les noter par écrit, encore moins de consulter la « Clé des Songes » ou un psychanalyste. 
Il suivait donc son petit bonhomme de chemin, réparant avec une patience d'ange les vieux postes de télévision de ses semblables, prenant presque tous ses repas au restaurant d'en face, faisant sa petite partie de cartes ou de bowling après le dîner, ne détestant pas à l'occasion de prendre un rendez-vous de samedi soir avec quelque séduisante et communicative personne, et ne manquant jamais de s'octroyer un dernier morceau sur le pouce avant de se mettre au lit. Ces en-cas tardifs étaient d'étranges sandwiches ordinairement composés de jambon ou de poulet (ou d'une autre variété de viande froide) accompagné d'oignons, de saucisses, de feuilles de laitue, de gelée, de moutarde, de cornichons et, pour le reste, de tout ce qu'il pouvait dénicher dans le réfrigérateur d'une logeuse au grand cœur. 
Mélanges prodigieux, mais qui tout en justifiant dans une certaine mesure l'intensité de ses rêves, ne pouvaient logiquement suffire à en expliquer les conséquences. 
En ce mémorable samedi 21 avril 1957, Herbert regagna sa petite chambre monacale aux environs d'une heure du matin. Il entreprit aussitôt d'étaler sur la table le contenu de ses poches, comptant d'un œil morose les quelques restes trébuchants de sa paye hebdomadaire. Mais quelle soirée du feu de Dieu ! Fola avait été extraordinairement amicale tout au cours du dîner, au cinéma ensuite, et plus tard, pendant le souper au restaurant chinois ! Et quelle demi-heure enfin, dans la voiture d'Herbert au milieu d'un bain de lune… 
Plongé dans un état semi-extatique, Herbert effectua les gestes indispensables du monsieur-qui-va-se-coucher. Il fit disparaître à regret les traces que le rouge à lèvres avait laissées sur son visage poupin, se brossa les dents, rangea soigneusement son costume neuf, répandit sur une chaise le reste de ses vêtements et éteignit. Il s'endormit presque aussitôt et cette nuit-là, pour différentes raisons, ses rêves furent très mouvementés. Il remuait, s'agitait, se retournait dans tous les sens, marmonnait des paroles confuses, cramponnait l'oreiller à pleins bras – bref, ce fut incontestablement une de ses super-productions. 
Et naturellement, il provoqua un remue-ménage cosmique au Sommet. 
— « De mieux en mieux ! » fulmina le Gardien subalterne qui avait pour mission – l'infortuné ! – de surveiller ce petit coin de la Galaxie. (Il ne nous est pas possible ici de donner une description détaillée des Gardiens. Ce ne sont pas exactement les Anges tels que nous les montre la tradition. Ils n'ont ni ailes ni auréoles, mais si vous y tenez vraiment, rien ne vous empêche de vous les représenter dotés de ces attributs.) Ils sont naturellement tenus de prendre leur mission à cœur et n'aiment pas du tout qu'un Incident dégénère en Crise, ce qui semblait bien devoir en l'occurrence être le cas sur la bonne vieille petite Terre. 
« Et du coup, » reprit-il, « nous voilà bons pour créer une nouvelle Fola Mason ! » 
— « C'est déjà fait, chef, » répondit son adjoint, « et permettez-moi d'ajouter que les techniciens sont sur les genoux. Mais enfin la voilà, toute d'albâtre, de feu, de miel, de douceur et de lumière, avec le rire du rossignol et l'esprit d'Aspasie, plus adorable qu'Hélène de Troie ou que Deirdre l'Irlandaise, plus divine que toutes les célébrités de l'écran dont cet imbécile s'est farci la tête ! » 
— « Mais c'est impossible ! » 
— « C'est pourtant ce que nous avons dû faire. Pardonnez-moi l'expression, mais nous nous trouvions au départ devant un problème infernal. Il n'était absolument pas question pour nous de retoucher la Fola déjà existante : il s'agit d'une femelle assez ordinaire, pas tellement intelligente et pas tellement belle non plus, qui sera obèse et abrutie dans douze ans d'ici. En outre, ses sentiments la poussent à épouser un vendeur de voitures d'occasion et à laisser tomber Herbert Bemis. Il ne nous restait qu'une ressource : tirer de l'argile originelle une nouvelle Fola en tout point conforme à celle qu'il a vue en rêve. » 
— « Et maintenant ? » 
— « À présent Fola – l'appelerons-nous ainsi ? – Fola fait ses galipettes dans toutes les boîtes de nuit d'Hollywood en compagnie de Clark Gable, James Stewart, Rock Hudson, Marlon Brando, Elvis Presley et presque tous les autres artistes de cinéma du sexe masculin dont Bemis se souvenait. Il s'est représenté sa Fola comme le pôle attractif de leur adoration ; ce qui n'est pas fait pour faciliter les choses, la plupart d'entre eux étant mariés et d'autres, fatigués de leur travail, désireux d'aller pêcher en montagne ou taquiner les machines à sous de Las Vegas. Eh bien, non ! Il faut qu'ils soient les chevaliers transis de Fola Mason – car ainsi en a rêvé Herbert ! Dans un sens, peut-être devons-nous nous estimer heureux qu'il ne se prenne pas lui-même trop au sérieux en rêve, et qu'il oublie tout à son réveil. Naturellement, nous devons veiller à ce que les deux Fola ne risquent pas de se rencontrer : il y aurait alors un de ces chocs en retour auxquels je préfère ne pas même songer. » 
— « Il semble que nous ayons l'affaire assez bien en main, » insinua le Gardien subalterne. « Peut-être pourrions-nous différer de transmettre le dossier aux échelons supérieurs ? » 
— « Hélas ! chef, il y a des « mais ». La Fola de ses rêves est tellement « sensass », pour employer un idiotisme à la mode dans cette région de l'Univers, qu'elle met littéralement tout sens dessus dessous. Sans compter les foyers qu'elle brise de droite et de gauche. Le pire, c'est que l'imagination de Bemis n'a pas été plus loin. Il ne s'y connaît guère en femmes, à peine davantage en psychologie et en physiologie. C'est ainsi que sa Fola boit uniquement du champagne, mais qu'elle ignore l'usage des salles de bains, malgré quoi, elle doit répandre le parfum de la rose effeuillée. Elle ne mange rien, sinon une petite cuillerée de caviar de temps à autre, ce qui ne doit pas l'empêcher de déborder de santé et d'entrain, ni de pratiquer tous les sports de plein air. Il est évident qu'aucune jeune fille ne saurait mener bien longtemps une telle vie avec un régime uniquement composé de caviar et de champagne. Il faut faire quelque chose, chef, et tout de suite ! » 
— « Et tout cela, » explosa le Gardien subalterne, « tout cela parce que, voici vingt-huit ans, il y a eu un raté dans le fonctionnement de la Machine ! Tout à fait entre nous, mon cher, je n'ai jamais eu grande confiance dans leur fameuse automation. On faisait beaucoup mieux à la main, tandis qu'à présent, on risque continuellement d'avoir un court-circuit – voyez ce cas Bemis ! Enfin, nous n'y pouvons rien : aux termes des Principes, et tant qu'Herbert Bemis vivra, chacun de ses rêves devra devenir réalité. Ce n'est pas drôle ! » 
— « Qu'il aille au diable…» proféra l'adjoint. 
— « Ah ! si seulement c'était possible ! Mais je préfère vous dire que cette solution ne sera jamais acceptée en Haut-Lieu. Du reste, tout cela nous dépasse, et je crois qu'une réunion d'état-major s'impose. » Ayant dit, le Gardien subalterne fit un geste de la main. 
Et c'est ainsi qu'en moins d'une seconde de temps terrestre se tint une réunion d'état-major. Réunion à un échelon déjà très élevé, pour sûr : les Douze y assistaient, accompagnés de nombreux adjoints et messagers qu'il avait fallu momentanément enlever à des travaux de la plus haute importance. L'instant était solennel. Les étoiles elles-mêmes s'arrêtèrent. 
— « Me direz-vous enfin à quoi rime ce satané branle-bas ? » demanda aigrement le Doyen des Gardiens dès que tout le monde fut présent. 
— « Il ne s'agit pas de Satan, chef, » s'empressa de rectifier le Gardien subalterne. « Pas que nous sachions, du moins. Nos agents doubles en mission Là-Bas sont unanimes à constater que l'Ennemi et son entourage sont aussi étonnés que nous… à cette différence près, naturellement, que les incidents en question les amusent beaucoup. » 
— « Bon, bon ! Enfin, pourquoi diantre remuer Ciel et Terre…» 
— « Parce que la Terre n'est pas seule en cause, chef. C'est d'elle que le mal est venu, dès l'instant où fut conçu cet Herbert Bemis, mais le danger s'est étendu aux autres planètes du système solaire, et voici maintenant qu'il menace de gagner toute cette Galaxie. Nul ne peut dire où il s'arrêtera. Nous…» 
— « Bemis ? » interrompit le Doyen en fronçant les sourcils. 
— « Bemis, chef. J'ai ici son dossier. Herbert Bemis. Personnage insignifiant. Domicilié à Burbank, Californie, États-Unis d'Amérique du Nord, Terre, etc. Il n'y a qu'un malheur, c'est qu'il rêve, et qu'aux termes des Principes, ses rêves doivent se matérialiser. » 
— « Allons donc ! Les rêves ont été accordés à l'homme pour son défoulement et, dans une étroite mesure, pour répondre chez lui à un certain besoin d'évasion psychique. » 
— « Précisément, chef. Il est des nuits où ses rêves sont criants de vérité, où ils sont extraordinairement vivants. Ils sont à trois, et même à quatre dimensions. Bemis les oublie très vite une fois réveillé, mais c'est nous qui sommes à la tâche. Nos chaînes de montage sont sur les genoux. Vous n'avez pas idée de…» 
— « Une idée ? Je commence à m'en faire une, et pas à votre avantage, » coupa le Doyen d'un ton glacial. « Mais continuez. » 
— « Il ne fait aucun doute, chef, qu'il y a eu au départ de tout cela un mauvais fonctionnement de la Machine. Nous l'avons naturellement révisée pièce par pièce et vérifiée dans ses moindres détails, de sorte que pareil incident ne se reproduira certainement pas. Une fois suffit ! En outre, des mesures ont été prises, certains responsables mutés ou dégradés. Mais le cas Bemis n'en demeure pas moins, et croyez-moi, chef, il nous sera bientôt devenu impossible d'y faire face. Actuellement, ses rêves nous immobilisent toute une équipe en permanence. S'il continue…» 
— « Donnez-moi des faits précis, » demanda le Doyen. 
— « Ma foi, chef, nous n'eûmes pas de grosses difficultés tant qu'Herbert Bemis ne fut qu'un enfant. Il rêvait qu'il était poursuivi par une vache, ou qu'il tombait d'une falaise, ou qu'il était enlevé par un aigle ; ça n'allait jamais plus loin. Nous n'étions pas obligés de créer des vaches, d'élever des falaises ou de fabriquer des aigles, puisque tous ces articles existent déjà sur sa planète. Et même, cela nous semblait à l'époque un phénomène intéressant à observer : le petit Herbert rêvait de gâteaux, de poulets rôtis, voire de commander l'équipe de basket-ball de son collège – toutes choses, étant donné les facilités déjà existantes, qu'il nous était facile de réaliser. »  
— « Vous jouiez avec le feu, » remarqua le Doyen, « Il aurait fallu sans tarder attaquer le mal à la racine. »  
— « C'est bien ce dont nous nous apercevons à présent, chef. Mais à l'époque où il dévorait les histoires de cow-boys, nous n'avions pas de peine à recréer certaines petites villes du Wyoming avec leur assortiment complet de mauvais garçons trichant aux cartes, de fermiers âgés pères de blanches héroïnes, et de filles de saloons au cœur d'or. Nous avions tout cela en réserve. Je reconnais pourtant que nous avons eu un peu plus de difficultés dans la recherche d'un trésor enterré par des pirates ; nous pûmes néanmoins repérer suffisamment d'épaves de galions chargées d'or en barre pour préparer quelque chose de très bien aux Îles Galapagos. De même un peu plus tard, quand Bemis rêva qu'il atteignait le sommet de l'Everest : nous n'avons eu qu'à monter une véritable expédition, à tailler dans la mousson et dans les tempêtes de neige et à fournir momentanément cette région en oxygène. Jusque-là, pas de problèmes. » 
— « Il y eut aussi d'autres rêves, » crut bon de préciser un Adjoint. 
« Je me souviens de…» 
— « Il n'est pas nécessaire d'en faire état ici, » coupa son supérieur d'un ton péremptoire. « Rappelez-vous : les demoiselles étaient à peine esquissées ; nous avons pu nous les procurer (et les retourner ensuite) dans les harems qui n'ont pas encore été désaffectés, dans divers studios de cinéma et dans certains appartements de Park Avenue. Non : où nous avons eu vraiment du fil à retordre ce fut pour cette histoire de Barsoum. » 
— « Au nom du Ciel, de quoi parlez-vous ? » s'écria le Doyen exaspéré. 
— « Barsoum, chef, c'est le nom qu'Herbert Bemis donne à Mars, cette planète proche voisine de Terra. Il s'est avisé de rêver qu'il s'y transportait en fusée, un engin d'une telle fantaisie que nous n'avons pas été tenus de le fournir, heureusement ! Bref, il arrive sur Barsoum et découvre une vraie planète de rêve, vivante, édénique, regorgeant de femmes magnifiques et à peine vêtues (sous un tel climat, je vous demande un peu !). De plus, une planète où vivent des monstres fantastiques possédant six pattes et des yeux de scarabée. Or comme vous le savez, il est manifestement impossible pour un mammifère d'avoir une structure sextipède. Mais il y a pis : croyez-le ou non, il fallait aussi des canaux pour2 …»  
— « Des canaux ? Des canaux sur Mars, où il n'y a même pas une flaque d'eau ? C'est grotesque ! » 
— « À qui le dites-vous, chef… Tant et si bien que pour réaliser cette histoire de fou, il nous a fallu procéder sur Mars à tout un travail de rajeunissement. On y trouve maintenant une atmosphère, de l'eau à pleins canaux et de belles dames peu vêtues qui n'ont pas fini d'en voir de drôles avec les monstres sextipèdes. À toutes fins utiles, nous nous sommes arrangés pour que les monstres soient bovins et herbivores. Mais cet état de choses ne peut plus durer ! » La véhémence du Gardien subalterne allait crescendo. « Une de ces quatre nuits, Bemis se lancera en rêve à travers l'espace transgalactique et poussera sa randonnée jusqu'à Proxima du Centaure, ou même plus loin. Une nuit viendra où nous n'aurons plus aucun contrôle sur lui. » 
— « Je vois. » Le Doyen se tourna vers l'assemblée et entreprit de recueillir l'opinion des Douze : « Votre avis ? » 
— « Il me semble que nous sommes dans une impasse, » hasarda Un. 
— « Même si la Machine a été remise en état, j'ai quand même l'impression que le mal est déjà fait, » appuya Trois. 
— « Mais il est manifestement impossible de laisser Herbert Bemis rêver plus longtemps, » déclara Sept. « Peu importe ce que disent les Principes et les Directives. C'est une question de bon sens ! » 
— « La Création n'est pas un jouet pour enfants, » rappela Deux. « Des mesures immédiates s'imposent. Mais en toute franchise, je ne vois pas lesquelles. » 
— « Peut-être qu'un Miracle ?…» suggéra Neuf. 
— « Trop long, » soupira le Doyen. « Trop de paperasses. Avant que notre demande soit agréée en Haut-Lieu nous risquerions de voir ce Bemis, pardonnez-moi l'expression, rêver qu'il s'en va au Diable Vauvert. Il est certes dommage qu'il ne rêve pas de paix universelle pour sa planète, ou d'aide aux pays sous-développés, ou encore, de liberté pour les peuples opprimés. »  
— « Cela ne lui est jamais arrivé, chef. Ses rêves sont avant tout ceux d'un égoïste. » Et le Gardien subalterne secoua la tête d'un air désabusé. 
Un silence suivit, lourd de cogitations, et que l'un des Adjoints rompit tout à trac : « À propos de cette jeune personne, de cette Fola ? Ne pourrions-nous ?…» 
— « Certainement pas ! » se récria le Gardien subalterne. « Elle ne peut rester en circulation. Elle met la pagaïe partout, et tout montre que ce n'est pas fini. Passons sur les problèmes immédiats qu'il nous faut résoudre pour la rendre continuellement saine et adorable en dépit de son régime à base de champagne et de caviar. Passons sur ses imperfections physiques et physiologiques malgré lesquelles elle doit se comporter comme un être humain normal. Mais il y a autre chose ! Ses photographies en couleurs auront bientôt mis hors de course une entreprise spécialisée dans les éphémérides à l'effigie de Marilyn Monroe, et réduit à la mendicité plusieurs dessinateurs qui travaillent actuellement pour « Esquire » et d'autres magazines du même genre. La Metro-Goldwyn-Mayer lui a garanti un contrat de cinq ans – ce qui va probablement conduire cette firme à la ruine, Bemis n'ayant jamais rêvé que Fola eût le moindre talent d'actrice. Enfin, et sans parler des foyers brisés ni des mariages rompus, elle ne saurait tarder à se présenter aux élections sénatoriales, et il faut s'attendre à ce que les divergences politiques entre époux mettent toute la Californie à feu et à sang. En un mot, Fola n'est pas faite pour être de ce Monde. » 
— « Et pourquoi ne ferions-nous pas rêver à Mr. Bemis qu'il se trouve seul avec elle sur une île déserte ? » proposa un Adjoint qui rêvait d'un avancement rapide. « Ils ramasseraient les noix de coco, récolteraient les ignames, pécheraient dans le lagon, et se trouveraient ainsi retranchés du reste du monde dans la mesure où leur existence constitue un danger pour ce monde. » 
— « En théorie, oui, mais pas en pratique, » répondit le Doyen. « Il s'arrêterait peut-être momentanément de rêver s'il avait sa Fola de rêve entre les bras, mais il s'en fatiguerait tôt ou tard et tout recommencerait. Et s'ils venaient à avoir des enfants ? Dieu seul sait si ce malheureux vice de fabrication ne risque pas d'être héréditaire. Mais, attendez voir… Ce Bemis a-t-il vraiment une importance capitale sur Terre ? » 
— « Aucune, chef, » s'empressa d'affirmer le Gardien subalterne. « Il est célibataire, orphelin, et ne joue qu'un rôle de troisième ordre dans le domaine des loisirs pour gagner son pain quotidien. On peut vraiment dire qu'il n'est ni aimé, ni haï, ni indispensable à personne, ni rien du tout. » 
— « Et ses idées ? Celles dont vous m'avez dit que ses rêves sont issus ? Il les trouve presque toutes dans certains magazines, romans et spectacles ? » 
— « Il les y trouve toutes, chef. » 
Le Doyen n'était pas Doyen pour rien : « Très bien. Voici donc ce que je décide après mûres réflexions. Je ne m'y résous pas sans répugnance, mais il doit en être ainsi : Herbert Bemis n'a jamais existé ! » 
— « Chef ! » se récrièrent d'une seule voix plusieurs d'entre les Douze. 
— « Je sais, je sais ! Mais il est toujours permis de rectifier une erreur – de corriger, de gratter les Registres. J'ai dit : Herbert Bemis n'est qu'un personnage né du rêve d'un autre. Il n'a jamais existé. » 
Chacun fit silence pour méditer ces paroles, puis une voix risqua timidement : « Mais n'allons-nous pas nous voir contraints de ce fait de contrevenir aux clauses de l'Article Quatre ? »  
— « Certainement. Mais la situation existante, elle, contrevient à la Décision tout entière ! » Le Doyen se montrait catégorique et, comme nous l'avons dit, il n'était pas Doyen pour rien. « Voulez-vous m'écouter ? Voici comment nous devons traiter le problème : Herbert Bemis n'a été qu'un personnage fictif dans le rêve d'un romancier spécialiste de ces récits d'évasion dont il faisait ses lectures – un point, c'est tout. Je suis sûr que les Adjoints et les équipes de recherche trouveront un auteur adéquat et pas trop occupé actuellement. Qu'il écrive l'histoire d'Herbert Bemis et que, à la minute même, Herbert Bemis et toutes ses créations oniriques soient à jamais effacés de l'Univers. Il va de soi que l'opération aura également un effet rétroactif : vous ferez donc en sorte que vos techniciens remettent tout en ordre sur Mars ; cette planète redeviendra comme avant une boule de fer rouillé, un astre mort, sans demoiselles, ni monstres, ni canaux d'aucune sorte. Tout doit revenir au statu quo. » 
— « Et Fola ? » demanda quelqu'un. 
— « Qu'elle retourne à la poussière originelle. Son prix de revient est trop élevé pour qu'elle puisse appartenir à un homme. Supprimez tout, les décors, les personnages. Rien de tout cela n'est jamais arrivé et chacun peut retourner à ses occupations. Nous sommes d'accord ? Bon. Il va sans dire que j'accueillerais avec faveur une motion d'ajournement. » 
Ainsi fut fait. Les astres se remirent à tourner et la réunion extraordinaire des Gardiens fut renvoyée sine die. En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, l'adoption du principe d'action immédiate eut ses effets jusque sur Terre. Quand la logeuse d'Herbert Bemis se présenta à sa porte le lendemain matin pour faire son ménage, elle se sentit secouée d'un léger frisson ; puis elle songea tout à coup que cette agréable petite chambre était demeurée vacante trop longtemps, et qu'il était temps de remettre la pancarte « À louer » à la fenêtre donnant sur la rue. Le patron d'Herbert, qui venait comme tous les matins d'ouvrir son atelier de réparation, décida que tout bien pesé il avait vraiment besoin d'un jeune homme actif et compétent pour le seconder. Et Fola Mason, la vraie, s'aperçut qu'elle n'avait pas de rendez-vous pour le samedi suivant ; elle passa aussitôt un coup de téléphone timide au jeune homme des voitures d'occasion. 
Quant à vous, ne cherchez pas dans le bulletin annuel de votre université une photo de votre vieux copain H rbe t B mi . Vous trouveriez une autre tête à la place de la sienne, ou un simple blanc. Vous n'avez jamais connu d' rb B i . Il n'y a jamais eu d'  
(Traduit par René Lathière)

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Modifié en dernier lieu le 16.05.2024
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