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Sous le vieux Pont-Neuf - R. et R. BOREL-ROSN

Sous le vieux Pont-Neuf - R. et R. BOREL-ROSNY 
  
R. Borel-Rosny est le petit-fils du grand Rosny, et sa signature est donc fort à sa place dans une revue comme « Fiction ». En collaboration avec sa femme (d'où la double initiale), il a écrit plusieurs romans policiers. La nouvelle qui suit représente leur premier essai dans le domaine du fantastique. Elle raconte un étrange phénomène, où s'annulent les dimensions de l'espace.  
    
Leur tête émergeait. Leurs épaules sortaient parfois de l'eau, y retombaient dans un éclaboussement blanc. Mais leurs mains se crispaient sur le dos de la barque. Ils ne pouvaient songer à la retourner. Elle était beaucoup trop lourde et, de toute façon, Tony n'aurait pas su s'y prendre pour remonter à bord. Ils se cramponnaient à force, désespérément. 
Des paquets de mer jetaient la barque à gauche, à droite et elle dansait avec des grâces d'otarie, se rapprochait, s'écartait, disparaissait soudain au creux d'une vague, se redressait d'un coup et se laissait aller mollement pendant quelques instants pour repartir ensuite à vive allure, les deux hommes agrippés à ses flancs. 
La côte était à huit cents mètres, peut-être mille. Mais déjà le soleil était couché, il faisait sombre et dans un quart d'heure au plus, il ferait tout à fait nuit. Il ne fallait pas compter sur un secours venu de la terre. Personne n'avait pris garde à leur départ et personne ne s'inquiéterait de ne pas les voir revenir. De toute évidence, nul n'avait vu le bateau chavirer. Les deux hommes étaient seuls. Irrémédiablement. 
La mer devenait moins houleuse comme il arrive souvent après la tombée de la nuit. La barque se tenait tranquille, à présent, comme lassée d'avoir fait la folle pendant une demi-heure. 
— « Tony, qu'est-ce que tu dis de ça ? » 
L'un des hommes s'était dressé, ses deux mains posées bien à plat sur le bois mouillé tandis que ses jambes et ses pieds battaient l'eau doucement, presque de façon imperceptible. D'un rétablissement, il fut sur le dos du bateau, les jambes écartées, aussi à l'aise que s'il eût enfourché un cheval de bois. 
— « Oh ! Marc… Tu as réussi ? » 
Marc secoua la tête. Une sorte de grognement sortit de sa gorge – peut-être était-ce un rire étouffé ? Il avait serré les lèvres et regardait son frère avec au fond des yeux une lueur méchante. Tony haussa le cou. Il écarquillait les yeux. La manœuvre de son compagnon pour se hisser sur le dos de la barque avait paru très simple et pourtant, il ne savait comment s'y prendre pour le rejoindre. Il n'osait lâcher prise un seul instant, sachant fort bien qu'il ne pourrait jamais plus se raccrocher. Et s'il ne le pouvait pas, c'en était fait de lui. 
— « Marc… Aide-moi ! » 
Il y avait un sanglot dans sa voix, mais son frère ricana méchamment. 
— « Non. » 
Ayant dit, il se tourna ostensiblement de l'autre côté. Vers la ligne sombre que piquetaient des points d'or clignotants. Là-bas, tout au long de la digue, des gens marchaient tranquillement, solitaires, en fumant leur pipe, ou bien par petits groupes exubérants. Des couples assis sur les bancs de la promenade ou devant l'apéritif du soir, bavardaient et riaient, se disputaient peut-être. Mais qu'importe. Tout ça, c'était la vie. La bonne vie chaude et bruyante. Il était grandement temps de songer à retourner là-bas ! Marc évalua le temps qu'il faudrait pour parcourir la distance. Moins d'un kilomètre. Ce n'était pas tellement loin. Après tout, il était bon nageur. Champion dans son genre. Il s'en tirerait fort bien. La mer qui remontait l'aiderait. En outre, il se sentait en pleine forme. 
— « Marc ! » 
La voix de son frère semblait venir de très loin. Cet imbécile n'avait pas encore compris. Devait-il lui faire un dessin, ou quoi ? Il fit un mouvement, tout prêt à plonger. 
— « Marc ! Attends ! » 
Tony avait crié si fort que Marc tressaillit, retenant son souffle malgré lui. Enfin, il murmura, comme à regret : 
— « Qu'est-ce que tu veux, maintenant ? Tu sais bien que c'est fini pour toi. » 
L'homme qui était encore dans l'eau et dont les mains bleuies par l'effort tenaient toujours, eut une sorte de hoquet. Il bégaya, incrédule : 
— « Fini ?… Pour moi ? » 
Il était évident qu'il ne comprenait pas. Plusieurs fois, il répéta les mots avec la même incompréhension, puis, soudain : 
— « Tu ne veux pas dire… Oh !… Tu as fait chavirer la barque exprès ? » 
Cette fois, ça y était. L'idiot avait enfin saisi. Marc eut un rire bref. C'était plus commode, mais bien dommage pour ce pauvre Tony. Il mourrait fâché. 
— « Et alors ? » 
— « Mais… Je ne sais pas nager, moi ! » 
— « Évidemment ! Autrement, ça n'aurait pas valu le coup ! » 
Les yeux horrifiés de Tony dévisageaient son frère au travers des embruns. Marc… Son frère. Un étranger. Un ennemi. 
— « Pourquoi ? » 
Pourquoi ? À cause de Geneviève. Geneviève qui était la femme de Tony et que Tony adorait. Geneviève qui aimait son mari et qui ne serait jamais à un autre. Du moins tant que ce dernier serait en vie. Après ? Peut-on jamais savoir ? Les femmes oublient vite. Marc rit plus fort, sûr de lui, de l'avenir. Oh ! Il saurait bien comment faire, une fois Tony éliminé. 
— « Pourquoi ? » répétait Tony. « C'est à cause de Geneviève, hein ? » 
À présent, la mer était tout à fait calme. Le bateau restait tranquille, bougeant à peine. Nonchalamment, Marc se retourna sur le ventre, demeura immobile, étendu confortablement, les bras en croix. 
— « On ne peut rien te cacher ! » 
Sa voix sonnait clair, avec une intonation de triomphe insolent, et soudain, ses doigts s'activèrent à desserrer d'autres doigts encore crispés sur le bord du bateau. 
— « Salaud ! » grogna Tony en lâchant prise. 
Il n'y eut même pas de floc ni d'éclaboussures. Le corps de Tony disparut en même temps que Marc plongeait. Un instant plus tard, celui-ci nageait vers la côte. 

* * 
Elles avaient parlé de tout et de rien pendant plus d'une heure. À présent, Annie se taisait. L'approche du soir la rendait toujours un peu mélancolique. Geneviève, songeuse, buvait à petits coups une tasse de thé très noir, comme elle l'aimait. 
Soudain, d'un mouvement brusque, inattendu, Geneviève reposa sa tasse. Annie sursauta. 
— « Je dois partir…» 
Geneviève se leva. D'une main hésitante, machinalement, elle défroissait sa jupe, lissait des plis imaginaires. L'autre jeune femme la regardait avec ébahissement, ses deux mains soulevées sur le bord de la table où le thé et les gâteaux étaient servis. 
— « Partir ? Déjà ? Mais… Pourquoi ? Tu disais tout à l'heure que, puisque Tony était absent…» 
Geneviève secoua la tête, sourit avec gêne. 
— « Je sais… Oh ! Je sais bien. Seulement… Il faut que je m'en aille ! » 
Les mains d'Annie retombèrent sur la table, sans force, semblables à deux oiseaux lassés. 
— « Comme tu voudras, chérie, mais…» 
— « Excuse-moi, Annie. » 
Déjà Geneviève courait vers la porte. Annie se leva à son tour. Elle traversa le salon, alla jusqu'à la fenêtre où elle arriva juste à temps pour apercevoir Geneviève qui sautait dans un taxi, sans même attendre qu'il se soit complètement arrêté. Perplexe, Annie se demanda ce qui arrivait à son amie, d'habitude si calme, si pondérée. Elle revint à pas lents vers la table. L'air était devenu pesant, Annie respirait mal. C'est d'une main tremblante qu'elle saisit la théière. Le thé lui parut amer et les gâteaux avaient mauvais goût. 
Elle fit une petite grimace. Un après-midi gâché. Par la faute de Geneviève. Qu'est-ce qui avait troublé ainsi son amie ? Quelque mauvaise nouvelle ? Pourtant, Geneviève en arrivant tout de suite après le déjeuner, était joyeuse et gaie, selon son accoutumée. À présent, la sage, la tranquille Geneviève agissait bien étrangement… 
Le taxi roulait vite malgré l'encombrement, en direction de la Seine. Geneviève penchée en avant, les mains appuyées sur les coussins du siège, gardait son regard fixe. Un regard vague, étrange qui effleurait les choses et, peut-être, ne les voyait pas. 
— « Vous me direz où j'arrête ? » dit le chauffeur sans se retourner comme le taxi passait les guichets du Louvre. 
— « Allez toujours… Longez le fleuve, » répondit-elle dans un murmure rauque. 
Après un court silence, elle ajouta : 
« Je veux voir l'eau…»  
Cette fois le chauffeur se retourna à demi. Par-dessus son épaule, il coula un bref regard à la jeune dame qui voulait voir l'eau. Se pourrait-il que ?… 
Un instant, il se demanda s'il n'allait pas intervenir, lui faire remarquer que la vie a ses bons côtés. Il ne s'agit que de savoir les prendre. Juste un petit discours pour lui remettre la cervelle en place, si tant est qu'elle en possédât une. Toutefois, il n'en fit rien. Après tout, les gens sont libres de disposer d'eux-mêmes. Et lorsqu'une belle fille est en cause, il vaut mieux faire le mort, sinon Dieu sait où ça peut vous mener. 
— « Arrêtez ! » cria soudain Geneviève comme la voiture passait à la hauteur du Pont des Arts. 
Lorsqu'elle lui remit le prix de la course, le chauffeur remarqua que la jeune femme n'était nullement désespérée. Seulement pressée. Très pressée et peut-être un peu anxieuse. 
Il démarra promptement et s'en fut, rassuré. 

* * 
Il coulait. 
Cela dura longtemps. Des siècles. Et pendant tout ce temps l'eau dure le fouetta, le roula, le culbuta, le redressa et finalement l'entraîna vers le fond. Tandis qu'il tombait comme une pierre, les bras tendus à la verticale, la tête inclinée sur l'épaule, il eut une dernière vision de la Vie, là-haut. Dans l'air léger où l'on respire à l'aise. 
Là-haut…  
Un homme qui avait été son frère nageait tranquillement vers la côte. Vers la vie. Vers un visage de femme aux yeux tendres, au sourire doux. Pour cette femme-là, cet homme est devenu un criminel. Elle ne le saura sans doute jamais. Et peut-être qu'un jour, après longtemps, elle et lui – le meurtrier…  
Non. Des choses pareilles ne peuvent arriver. 
Non…  
Il hurla. C'est-à-dire qu'il pensa hurler. Car déjà, l'eau était la plus forte. Il ne pouvait plus refermer la bouche. 
— « NON. NON. NON ! »  
Il se débattit furieusement contre l'eau indifférente. Mais ses bras, comme ses jambes inutiles, abandonnèrent, retombèrent, flottèrent autour de lui, tout comme des guenilles se balancent dans le vent, accrochées au détour d'une haie. 
— « Geneviève…» 
Et sa tête dodelinait en mesure au rythme des flots. 
Geneviève. Geneviève. Geneviève… 
Il n'espérait plus et tout était noir. Dans quelques secondes, il serait mort et il le savait. Il renonça. Un dernier appel ne passa pas ses lèvres closes. 

* * 
L'eau roulait de petites vagues grises, ourlées de noir et de vert sombre. Elle coulait avec un clapotis monotone, à peine audible. Juste un murmure. La nuit tombait vite. La rumeur de la ville n'arrivait pas jusque-là, sauf de temps à autre le bruit d'un coup de frein brutal ou le heurt de deux pare-chocs. Geneviève marchait le long de la berge et c'est tout juste si deux ou trois clochards se retournèrent sur elle. Il n'y avait pas d'autres promeneurs. Sous le Pont-Neuf, elle s'arrêta, indécise, humant l'air humide. Dans ses yeux inquiets qui essayaient de percer l'ombre, il y avait de l'étonnement, une perplexité angoissante. De toute évidence, elle ignorait ce qu'elle était venue faire là. Pourtant, elle savait parfaitement qu'il lui fallait être là et qu'elle allait avoir précisément quelque chose à faire. 
Elle regarda la Seine, scruta longuement l'eau qui s'assombrissait un peu plus chaque seconde et où traînaillaient encore des lambeaux de lumière grise mêlée à des reflets de plomb. Elle se laissa tomber sur la pierre qui borde le quai. Ici, en cognant contre les piles du vieux pont, la Seine se donne des allures d'océan. L'eau bouillonne, arrive en vagues courtes et brutales, se heurte au flanc des barques amarrées tout contre. L'une d'elle était retournée et se balançait doucement la quille en l'air. Le regard pensif de Geneviève s'arrêta sur une grosse bûche, venue là, on ne sait comment, à quelques centimètres de l'endroit où elle s'était assise. De la pointe de son soulier, elle fit glisser sans effort la lourde pièce de bois dans l'eau grise. Cela fit un floc sourd qui résonna douloureusement comme une longue plainte. La jeune femme frissonna bizarrement et ferma les yeux. 
— « Geneviève… » 
C'était un appel venu du fond du fleuve. De ce côté-ci ou de ce côté-là ? Geneviève n'aurait pas pu le préciser. Il venait de si loin. Dès qu'elle l'entendit, cependant, elle sut pourquoi elle était venue et ce qu'elle avait à faire. 
Geneviève… 
Elle se pencha davantage sur l'eau. Ses cheveux tombèrent sur ses yeux effleurèrent la surface et, mouillés, collèrent à son visage. Ses bras se tendirent, glissèrent dans l'eau jusqu'aux épaules. 
— « Tony… Oh ! Tony…» 

* * 
Venue d'ailleurs, de très loin, la voix chère murmurait à son oreille. 
— « Je suis là, Tony… Courage, mon chéri…» 
Il ne s'étonna pas. Jamais Geneviève ne l'avait déçu lorsqu'il avait eu besoin d'elle. Elle était toujours là. 
— « Tu es venue…»  
— « Naturellement. Attends, Tony chéri. Je vais t'aider…» 
Il ne s'étonna pas davantage quand un bras frais entoura son cou, souleva sa tête avec douceur. 
— « Geneviève, mon amour… C'est si loin, là-haut… » 
Il reconnut l'éclat de son rire et il sentit son souffle tiède dans son cou. C'était si bon de n'être plus seul. Elle lui parlait à l'oreille, le rassurait : 
— « Chut, chéri… Laisse-moi faire. Je te ramènerai…» 
Elle nageait d'un mouvement lent et sûr, d'un seul bras. De l'autre, elle le soutenait. Oh ! c'était une bonne nageuse. Et prudente. Avec elle, il était certain d'atteindre la côte. 
À présent, il avait la tête hors de l'eau et il respirait mieux. L'eau ne le gênait plus du tout. Il put voir les étoiles cligner l'une après l'autre. Elles brillaient d'une jolie lueur, rassurantes. Et il se sentit en paix avec tout le monde. Même avec Marc. Un instant, il se demandai si son frère avait déjà regagné le bord et ce qu'il penserait en le voyant revenir sain et sauf. 
Le bras de Geneviève traçait un éclair blanc toutes les deux ou trois secondes, chaque fois qu'il fendait la surface de l'eau. 
— « Voilà Tony chéri… Nous y sommes. » 
Elle poussa un gros soupir. Sans doute était-elle lasse ? Tony ferma les yeux. 

* * 
La petite foule s'écarta vivement. L'homme qui était à genoux penché sur le corps immobile se releva lentement, le visage tout ruisselant de sueur. D'un geste machinal, il passa la main sur son front, puis tout aussi machinalement l'essuya le long de son pantalon de flanelle blanche. 
— « Alors, Docteur, » demanda quelqu'un, « il n'est pas ?…» 
Le docteur secoua la tête, se gratta le derrière de l'oreille avec l'extrémité de son pouce. Il était visiblement déconcerté. 
— « Non, » dit-il enfin. « Il n'est pas mort et il s'en tirera. Toutefois…» 
Il n'en dit pas davantage mais il était bien évident qu'il était surpris et tous les assistants partageaient son étonnement. 
— « Tout de même, on peut dire qu'il a eu de la chance, le petit Tony. Un sacré coup de veine, non ? » 
Les regards se tournèrent de l'autre côté, où d'autres hommes regardaient un autre corps inerte. 
— « Celui-là pourtant est bien mort ! » 
Cela ne faisait pas de doute. Aussi mort que Napoléon dans son tombeau des Invalides et tout aussi définitivement. Brusquement, tout le monde fit volte-face. Il y eut des hochements de tête, des exclamations étouffées. On se précipita. Des pêcheurs remorquaient une embarcation. La barque des deux frères qu'ils avaient trouvée, retournée, à huit cents mètres de la terre. 
— « Tiens, » fit avec curiosité l'un des pêcheurs, « c'est celui qui savait nager qui s'est noyé. » 
Un vieux marin, qui avait vu tant de choses que rien ne l'étonnait plus jamais, grommela dans sa barbe que tout ça, c'était des diableries. Quand a-t-on jamais vu un type qui ne sait pas nager parcourir la moitié d'un mille en mer sans se noyer ? Tandis que l'autre, un petit futé qui nageait si bien qu'il vous aurait traversé la Manche comme un passage clouté, on le retrouve tout mort. Extraordinaire, ça. Une diablerie. 
— « Regardez, » dit soudain un gros homme qui portait un chapeau de paille et des lorgnons. « Regardez… Il a dû recevoir un coup, se cogner quelque part…» 
Sur le front du mort, il y avait une grande balafre qui semblait partager la tête en deux. 
— « C'est pour ça ! Il a perdu connaissance et s'est noyé…» 
Il n'y avait que désolation et pitié sur les visages mornes des gens groupés autour du cadavre. Seul le vieux marin hochait la tête. Il n'était pas convaincu. 

* * 
Le vieux était vêtu d'une invraisemblable capote bleue qui avait connu les beaux jours de la Marne. D'une musette rebondie, pendue à son épaule, dépassaient un litre de vin et la moitié d'un pain de fantaisie. Intrigué, il regardait la jeune femme courbée. Que pouvait-elle bien chercher dans l'eau à cette heure et dans cette quasi-obscurité ? Il avança d'un pas. La jeune femme ne l'entendit pas. Elle demeurait penchée, les bras entièrement plongés dans l'eau. De temps à autre, son bras droit ressortait l'espace d'une seconde, puis disparaissait pour reparaître bientôt. Les yeux écarquillés, le vieil homme se pencha à son tour : 
— « Vous avez perdu quelque chose ? » demanda-t-il d'un ton poli. 
La jeune femme sursauta, tourna légèrement la tête de son côté et lui jeta un regard méfiant. 
— « Non, » dit-elle. « Je n'ai rien perdu. C'est seulement…» 
Elle s'interrompit brusquement, se mordit les lèvres et se détournant, elle reprit son manège. À part le vieux type debout à la même place, le quai était désert. Des ombres irréelles et floues dessinaient sur les piles du pont des formes grotesques qui s'allongeaient, s'étrécissaient, s'étiraient encore, disparaissaient pour renaître aussitôt. Sans doute, les lumières des voitures, circulant là-haut, le long du quai… 
Le vieux ne perdait pas la femme de vue. Il suivait tous ses mouvements d'un œil anxieux. Lorsqu'enfin, elle se mit debout, il recula d'un pas. Tournant la tête vers lui, elle sourit. Comme elle ramenait ses bras ruisselants contre sa poitrine, il vit qu'elle tremblait. 
— « Vous avez froid, » dit-il. « Vous devriez prendre un petit quelque chose. » 
Ce disant, il sortit de la musette la bouteille de gros rouge et un quart réglementaire qu'il emplit à moitié. 
— « Buvez ! » 
Obéissante, elle tendit la main et but à petits coups le vin épais. Après quoi, elle rendit le récipient à son propriétaire. 
— « Merci. » 
De la poche de sa robe, elle tira un mouchoir, s'essuya la bouche. Puis sans hâte, se mit en devoir de tamponner ses bras mouillés. 
— « Vous savez, » fit-elle tout à coup d'une voix de petite fille, « vous savez… Il fallait vraiment que je le fasse…»  
Il fixa sur elle le regard sans vie d'un petit œil rond et pâle, tout délavé. 
— « Eh bien ! ma petite dame, si j'ai un conseil à vous donner, ne restez pas là… Rentrez chez vous. » 
— « Oui. C'est ce que je vais faire. » 
Elle inclina la tête, souriant avec gentillesse. Le vieillard la considéra avec un étonnement admiratif. C'était un plaisir de voir, à la lueur falote d'un lointain lampadaire, la douceur de son sourire et la tendresse de ses regards. Mais ni le sourire, ni la tendresse n'étaient pour lui. Le bonhomme le savait bien. Il n'empêche. Il sentait son cœur se réchauffer et ses vieux os devenaient moins douloureux. 
Certain, à présent, qu'elle n'avait pas de mauvaises idées, il remonta d'un coup d'épaule la lourde musette, et saluant gauchement, il fit demi-tour et s'en alla. 
Demeurée seule, la jeune femme fut un instant désemparée. Elle regardait autour d'elle, troublée, hésitante, les piles noires et blanches du Pont-Neuf, le fleuve qui coulait à petits bruits et la masse plus sombre des barques immobiles. Celle qui avait le dos en l'air retint plus longuement son regard. Elle secoua la tête, incertaine. Tout à l'heure, elle prenait le thé avec Annie et maintenant… 
Ce fleuve, ce quai désert… Cela ressemblait à un rêve. Elle poussa un léger soupir, effleura son front de la main. Comme elle se sentait lasse, tout à coup. Son dos lui faisait mal et ses genoux tremblaient de fatigue. Un frisson courba sa nuque. Elle s'aperçut qu'elle claquait des dents. 
— « Comme il fait froid ! » 
Machinalement, elle leva le bras, consulta sa montre. Si tard ? Et Annie qui attend dans le petit salon tiède ! Annie qui ne doit rien comprendre à ce qui se passe ? Toutes deux bavardaient, tranquilles… Le thé était très noir dans les tasses de fine porcelaine. Très noir. Juste comme Geneviève aime qu'il soit. 
Alors… Que fait-elle là ? 
… Il faut que je m'en aille…  
Cette force singulière qui l'avait poussée… Cette crainte absurde de ne pas arriver à temps… Et puis cette course en taxi. Cette longue station au bord de l'eau et… 
Sourcils froncés, elle regardait ses mains, encore un peu humides, que l'eau froide de la Seine avait rougies… 
— « Tony ! Oh !… Tony ! » 
Tony. 
Voilà. Elle croyait comprendre à présent. Ce n'était ni étrange, ni fantastique. Simplement merveilleux. Là-bas, au bord de l'océan où il passe quelques jours avec son frère, Tony pense à elle. Comme elle pense à lui. Le soir surtout. Et ce soir, sans doute a-t-il rêvé de sa présence ? Peut-être même l'a-t-il appelée ? C'est une explication qui en vaut une autre. Mais… Qui sait ? 
En tout cas, elle est venue. Leurs pensées se sont rejointes, mêlées aux eaux du fleuve et de la mer… Un sourire furtif glissa sur les lèvres de Geneviève. Elle se sentait quand même un peu sotte. Elle eut un dernier regard du côté de l'eau grise et noire et, tournant les talons, elle remonta le long du quai. 
Elle marchait vite, ayant hâte de rentrer. Un jour, il faudrait qu'elle raconte à Tony cette drôle de chose qu'elle avait faite aujourd'hui. Un jour… Plus tard.

(c) Bernard SAUNIER - Créé à l'aide de Populus.
Modifié en dernier lieu le 16.05.2024
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