Les marchands de sable - J. T. McINTOSH
Les marchands de sable - J. T. McINTOSH
L'Écosse a sa personnalité littéraire propre. Elle a même son magazine de science-fiction personnel, « Nebula ». Elle a également produit nombre d'écrivains de science-fiction, dont notre ami Macintosh, que nous n'avions pas revu depuis bien longtemps dans les colonnes de « Fiction »3 . Dans la présente nouvelle, il examine le problème toujours fascinant de la communication avec des intelligences non humaines. Même en admettant la plus grande bonne volonté des deux côtés, des malentendus sont possibles.
Mais de tels malentendus ne sont pas nécessairement tragiques.
Celui que Maclntosh nous présente a même un côté nettement burlesque.
L'atterrissage promettait d'être un désastre.
Vic ignorait ce qu'était la planète, et même sa situation exacte ; mais cela n'avait aucune importance : ils étaient obligés de se poser. Si, par le plus grand des hasards, quelqu'un survivait à l'atterrissage, il serait temps de s'inquiéter des conditions de vie à la surface.
Derrière lui, Eileen fredonnait « Voi che sapete », du Mariage de Figaro.
— « Tes canots de sauvetage seront prêts à temps ? » demanda-t-il, par-dessus l'épaule.
— « Ils sont prêts, » dit Eileen. « Naturellement, tu ne me croiras pas, si je te dis qu'ils sont au point. Après tout, je ne les ai jamais vérifiés que cinq fois. »
Vic ne répondit pas. C'était à cause d'une erreur d'Eileen qu'ils allaient s'écraser. Ce que Vic en disait avait moins d'importance que ce qu'Eileen ressentait. Elle ne s'était pas complètement effondrée, mais il était clair qu'elle avait perdu toute confiance en elle. Elle était perpétuellement sur la défensive, non parce qu'on l'attaquait, mais parce qu'elle pensait qu'on aurait dû le faire.
— « Ça fait six fois, maintenant, » dit Eileen.
— « O.K., » dit Vic. « Je suppose que ça doit suffire. »
— « Je m'étais trompée, les cinq premières fois. »
Vic ne répondit pas. Mais ça ne suffisait pas à Eileen. Il lui fallait rebondir sur sa planche à clous.
— « Tu vas vraiment confier ta vie à quelque chose que j'ai fait ? »
— « Les canots n'ont pas tellement d'importance, » dit Vic. « Je me confie aux bras des dieux, pas aux tiens. As-tu eu le temps de jeter un coup d'œil sur cette planète, entre tes six vérifications ? »
— « Je pense qu'on peut y vivre, » dit-elle. « Mais ne fais pas attention à ce que je pense. Je parie que j'ai tort, comme d'habitude. »
— « Ça suffit, Eileen, » dit Vic, en se retournant pour la regarder.
Elle rougit, pleinement consciente de se conduire en imbécile, mais sans pouvoir s'en empêcher.
— « Tu ferais mieux d'entrer dans ton canot, » dit-il. « Il nous reste à peu près trois minutes. »
Eileen détacha sa ceinture, défit le premier bouton de sa tunique et s'arrêta.
— « Même si nous devons mourir dans trois minutes, » dit-elle, sans le souffle, « j'aimerais mieux que tu ne me regardes pas me déshabiller, si ça ne t'ennuie pas…»
Vic haussa les épaules et se retourna vers les commandes. Dans le verre d'un cadran, il vit une minuscule Eileen quitter sa salopette, et se glisser dans l'un des deux canots de sauvetage. Elle avait retrouvé assez de souffle quelque part pour fredonner « Una voce poco fa », du Barbier de Séville.
Les femmes, sur un astronef, n'ont que deux attitudes à prendre. Ou bien elle traitent les baisers comme des poignées de mains et font l'amour comme on s'embrasse, ou bien, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elles s'efforcent de croire qu'elles ne sont pas femmes, après tout.
Il lui vint une idée intéressante : si lui et Eileen en réchappaient et trouvaient la planète vivable, Eileen pourrait difficilement continuer à faire semblant de n'être pas une femme.
« Una voce poco fa » cessa soudain, quand Eileen referma le canot sur elle.
Vic n'attendit pas plus longtemps. Il jeta un dernier coup d'œil aux commandes, se déshabilla, entra dans l'autre canot, et mit le tube respiratoire entre ses lèvres.
À l'instant précédant l'écrasement, le tube s'arracherait à sa bouche, et le contenu du canot se transformerait en une gelée des plus remarquables, faisant l'office de vingt mille coussins.
Une fois le calme revenu, et il reviendrait à la fin, le canot relâcherait doucement Vic et Eileen, ou ce qu'il en resterait, les laissant découvrir s'il restait de l'air respirable dans la cabine de contrôle.
Les canots ne contenaient aucun anesthésique. Les essais avaient prouvé que c'était perdre plus de vies humaines qu'on n'en sauvait. Dans son canot, Vic était entièrement conscient, privé pourtant de l'ouïe, de la vue et de l'odorat, dans l'attente du naufrage.
L'attente dura des vies entières. Ils n'atterriraient jamais.
Les jours, les années, les siècles passèrent.
Et enfin, alors qu'il avait cessé d'y croire, le tube s'arracha à ses lèvres, et le petite monde de Vic explosa.
*
* *
On ne lui laissa pas le temps de penser. Le rideau se leva en un éclair.
Il était dans une rue animée, où, avec cinq millions d'autres personnes, il était poussé, bousculé, pressé en avant. Sa première impression : la chaleur, la chair nue, les couleurs vives, et l'immensité.
Il ne savait pas ce qui s'était passé cinq minutes auparavant. Les cinq minutes précédentes n'avaient jamais existé. Sa vie venait de commencer, bang, donnée une fois pour toutes.
Dieu seul sait ce qu'il était censé être : rétameur, tailleur, soldat ou marin…
Il s'arrêta une seconde, essayant de s'orienter. Une seconde seulement. Une épaule dure le bouscula de tout son poids. Vic chancela et faillit tomber.
Il retrouva son équilibre, se retournant avec colère.
Un homme le toisait, un homme énorme, torse nu, et armé d'un lourd fouet.
— « Allez, marche, mon vieux, » dit l'homme au fouet sans méchanceté. « La prochaine fois que j'aurai à te le dire, ce sera avec ça. » Il fit un geste avec son fouet.
Vic avait envie de lui dire d'aller jouer ailleurs. Quelque chose l'en empêcha : le bon sens.
Un homme qui n'existait pas encore cinq minutes auparavant n'était pas en mesure de discuter la réalité. Une réalité sous forme d'énormes gardes-chiourme armés de fouets. Une réalité sous n'importe quelle forme.
À tant que faire, un homme qui n'existait pas cinq minutes auparavant n'était pas en mesure de discuter l'imaginaire. Ce que cette situation paraissait bien être.
Il était clair qu'il vivait dans une sorte de rêve. Même si autour de lui tout était aussi réel qu'il le paraissait, c'était quand même un rêve : le sien ou celui de quelqu'un d'autre.
Le rêve d'un producteur de films, par exemple.
Les gens étaient bronzés, mais de race blanche. Leurs vêtements étaient négligeables, et ce qu'ils en portaient n'était pas là où Vic s'attendait à le voir. La rue était pavée de grandes dalles de pierre. Les maisons et les bâtiments qui la bordaient étaient vastes et propres et d'une blancheur éblouissante.
Pas de voitures, pas de charrettes, pas d'animaux, rien que des hommes, des femmes et des enfants à pied, tous poussés dans la même direction par d'énorme gardes-chiourme aux fouets de cuir.
Bien que tout, autour de Vic, semblât réel, tout manquait de définition. La scène était un peu floue. Vic ferma les yeux une ou deux fois et secoua violemment la tête, mais la scène refusa de se mettre au point.
Quelqu'un, derrière lui, fredonnait « Stridono lassù », de Paillasse. Vic tourna la tête.
Il ne la connaissait pas. Mais d'où lui venait l'idée qu'il aurait dû ? Elle était très jolie, mais, plus important encore, seule, dans cette multitude, elle n'était pas floue. Une apparition à trois dimensions sur un fond à deux dimensions.
3-D était bien le mot. Comme les autres femmes, elle était vêtue de morceaux d'étoffes hétéroclites : ils recouvraient ce que les femmes montrent d'ordinaire sur n'importe quelle plage, tout en découvrant ce qui, même à la plage, reste soigneusement couvert. La pensée l'effleura que ces vêtements auraient pu être conçus pour une autre race que la sienne.
— « Où sommes-nous ? » lui demanda-t-il après l'avoir laissée le rattraper.
Elle s'arrêta de chanter.
— « Je ne sais pas, » dit-elle, troublée.
— « Bon Dieu, vous devriez savoir où nous sommes ! »
— « Alors, vous devez le savoir aussi, » rétorqua-t-elle, « et j'aimerais bien que vous me le disiez. »
Voilà qui n'avançait pas Vic.
Par-dessus tout, il aurait voulu s'arrêter pour réfléchir. Il était sûr que s'il pouvait seulement s'asseoir quelque part et considérer les choses, tout lui reviendrait. Mais lui et la fille étaient toujours poussés en avant et Vic n'avait nul désir pressant d'attirer l'attention des gardes.
— « Comment vous appelez-vous ? » demanda-t-il.
— « Allura, » dit-elle, après un silence. » Et vous ? »
Quelle question.
— « Oh ! Jack, je pense, » dit-il. « Attention, voilà notre chance. »
Droit devant eux s'ouvrait une allée sombre dont les vagues de la foule pressée battaient l'entrée. Vic saisit le bras d'Allura et la guida vers le bord du courant.
Arrivés à l'entrée de l'allée, il la tira derrière lui et ils plongèrent.
Ils se trouvèrent dans une vaste cour fraîche. Vic se détendit avec joie. Pour la première fois depuis son entrée dans le rêve, il avait du temps pour penser.
Il entreprit de le gaspiller.
— « Dites donc, ce costume que vous portez n'est pas seulement indécent, mais aussi tout simplement hideux, » remarqua-t-il.
Allura baissa les yeux et se raidit de surprise. Vic interpréta les gestes frénétiques qui suivirent comme un essai pour se couvrir. Vic réalisa soudain ne pas savoir lui-même comment il était habillé. Il regarda, et sa surprise fut aussi grande que celle d'Allura.
Quelque chose siffla dans l'air, et Allura hurla, abandonnant toute autre préoccupation que celle de la douleur qui lui brûlait le dos. Deux secondes plus tard, Vic hurla aussi sous la morsure du fouet. Il ne se savait pas capable de hurler, mais il le fit. Il se rejeta en arrière.
Allura s'était effondrée par terre, ignorant tout, sauf la torture de son dos.
— « Lève-toi, » dit le garde avec indifférence, en la poussant du pied.
Moins à cause de la blessure d'Allura que de sa propre douleur, Vic se jeta sauvagement sur le garde.
Il ne l'atteignit jamais.
*
* *
Le rideau se leva comme un éclair.
Vic était à Brooklyn, New York, pour la première fois de sa vie. Pourtant, il savait très bien ce qu'il y faisait. Il allait trouver un homme nommé Rudy Scheiner. Lorsqu'il le verrait, il se montrerait amical et inoffensif ; puis Scheiner lui tournerait le dos : alors, Vic l'abattrait.
Vic ne savait pas pourquoi il devait tuer Scheiner, il savait seulement qu'il le ferait. Cela suffisait. Il savait ce qu'il devait faire, et comment le faire, et qu'il en était capable. Sans en connaître les motifs, il connaissait la situation.
Vic avait l'impression de ne pas toujours avoir eu cette chance. Quel soulagement que les choses soient si faciles, si simples. Ce n'était pas réel, bien sûr. Ça ne pouvait pas l'être. On ne traverse pas sans hésiter une ville inconnue vers une maison qu'on ne connaît pas, pour tuer un inconnu.
C'était une situation, tout simplement, une situation sans explication, sans raison, sans cause, sans conséquence.
Vic quitta l'ascenseur et tourna à gauche dans le couloir. Au moment d'appuyer sur la sonnette de l'appartement 47, il hésita, vaguement troublé.
En y repensant, il ne se souvenait pas de l'immeuble, du hall d'entrée ni de l'ascenseur. Il secoua la tête avec impatience. L'immeuble, le hall ou l'ascenseur ne l'intéressaient pas : pourquoi s'en souviendrait-il ?
Il pressa le bouton, et la porte s'ouvrit.
Sa mâchoire tomba et il resta ébahi comme s'il n'avait jamais vu de femme de sa vie.
Elle n'aurait pas dû être dans le tableau. Elle n'avait pas le droit d'être là. Elle n'avait pas de rôle, la mise en scène ne la mentionnait pas. Autant trouver une vendeuse de cigarettes dans Macbeth. Elle portait un pyjama léger, très léger ; elle avait noué sous sa poitrine une petite veste blanche en principe, mais trop transparente pour être d'une couleur quelconque, et le pantalon était du même tissu brumeux.
— « Rudy est là ? » demanda-t-il.
Elle attendait qu'il parle.
— « Il ne m'a pas parlé de vous, » dit-elle. « Après tout, je ne fais jamais qu'habiter ici. »
Mais le plus inattendu, c'est qu'il la connaissait.
— « Il n'aurait pas pu vous parler de moi, » dit Vic prudemment, « parce qu'il ne savait pas que je viendrais le voir. »
Elle haussa les épaules et fit un pas de côté. Comme il la suivait à travers le salon, elle chantait doucement : « Du bist wie eine Blume », de Schumann.
— « Rudy est dans son bain, » dit-elle par-dessus l'épaule. « Il n'en a pas pour longtemps. »
Elle parlait et se comportait comme la maîtresse de Rudy Scheiner, ce qu'elle était censée être. Mais Vic savait que c'était faux, aussi faux que sa démarche, que son maintien, que sa façon de s'habiller, que le nom qu'elle lui donnerait quand il lui demanderait :
— « Comment vous appelez-vous ? »
— « Qu'est-ce que ça peut vous faire ? » répliqua-t-elle, se laissant tomber sur le divan, le visage contre le tissu. « Qu'est-ce que je suis pour vous ? »
— « Une rose portant un autre nom, » répliqua-t-il, « et dont le parfum est moins suave4 . »
— « Oh ! ce n'est tout de même pas ma faute si je suis obligée…» commença-t-elle, pleine de rancune.
— « À quoi êtes-vous obligée ? »
— « Vous m'accusez toujours de tout, depuis que…»
— « Depuis quoi ? » questionna Vic une fois de plus, mais toujours sans résultat.
— « J' m'appelle Margo, » dit-elle d'un ton maussade.
— « Margo comment ? Est-ce trop vous demander que d'inventer encore un nom ? »
— « Vous êtes dingue, » dit-elle, et elle détourna la tête, comme si cela concluait la conversation.
Vic s'approcha d'elle.
— « Comme les choses se présentent, » murmura-t-il, « je me demande ce qui se passerait si…»
Il glissa les mains sous elle, le long de ses côtes, et la releva aisément, la retournant dans le même mouvement. Il lui prit la taille et leurs lèvres se rencontrèrent.
Oui, elle était réelle, sans l'ombre d'un doute. Sa chair était chaude, sèche et ferme, et lui faisait tout l'effet qu'on pourrait imaginer.
Margo ne se débattit pas. Cela le surprit. Une des choses dont il était certain c'était qu'elle devait se débattre quand on l'embrassait. Quand n'importe qui l'embrassait.
— « Laisse-moi, » murmura-t-elle, démentie par tout son corps et ses bras eux-mêmes. « Laisse-moi. Rudy…»
Vic la reposa doucement sur le divan. Oui, Rudy.
Il fallait être complaisant envers les folies à trois dimensions. Il ne suffisait pas de dire : ceci ne peut pas être vrai, donc ce n'est pas vrai, et je peux l'ignorer. Il avait au moins appris cela.
De plus, comment séparer le réel de l'imaginaire ? Un homme en train de rêver et le sachant pouvait fort bien être tué par un homme debout près de son corps endormi.
— « Que veux-tu à Rudy ? » chuchota Margo.
— « Quelle importance ? »
— « Ça pourrait en avoir, » dit-elle d'un ton expressif, « après… »
Voilà qui était intéressant.
Mais Vic n'eut pas le temps d'y penser, car Rudy choisit ce moment pour se manifester, petit, gros et chauve.
Rudy n'avait pas de visage. Ni rien qui lui en tienne lieu. Il était tout simplement en blanc, comme une enveloppe sans suscription.
— « Salut, Rudy, » dit Vic, s'approchant de lui. « J'ai quelque chose pour toi. »
Derrière Vic, Margo fredonnait tranquillement « Ich liebe dich », de Grieg.
Comme Rudy n'avait même pas de visage, il n'y avait pas de raison pour ne pas lui tirer dans le dos, comme prévu.
Pourtant, Vic ne put s'y résoudre. Il frappa plutôt Rudy à la tempe avec la crosse de son revolver, et Rudy se recroquevilla paisiblement. Vic se tourna vers Margo.
— « Tu parlais de ce qui se passerait après, » remarqua-t-il.
— « Tu devais lui tirer dans le dos, » dit-elle, intriguée.
— « Eh bien, je ne l'ai pas fait, » dit Vic. « Quelle importance ? »
Apparemment, ça n'avait pas d'importance. Elle ne se souciait pas plus que lui de Rudy-sans-visage. Elle ne lui jeta même pas un regard. Comme Vic la reprenait dans ses bras, elle fredonnait de nouveau « Ich liebe dich ».
*
* *
Non, les astérisques ci-dessus n'ont pas la signification qu'on leur prête d'ordinaire.
Vic avait conscience d'avoir été volé, sans savoir qui lui avait volé quoi.
Il ignorait d'où il venait, ce qu'il y faisait, et même s'il y faisait quelque chose.
Il se frayait un chemin à travers une incroyable forêt de serre, qui ressemblait à un paysage de Vénus tel qu'on se le représente, mais qui de toute évidence n'était pas Vénus.
Trempé de sueur dans la chaleur humide et poisseuse, il se dit qu'un homme qui voyait des choses qui n'existaient pas ne pouvait pas exister, était complètement fou, et qu'il était le seul à être normal.
De savoir que des tas de dingues avaient la même impression ne l'aidait pas beaucoup. Malgré ses efforts, il avait du mal à croire qu'il était fou.
Bon, très bien ; supposons alors qu'il soit sain d'esprit. Un homme sain, affligé d'hallucinations (si les termes ne se contredisaient pas) devrait pouvoir contrôler les choses dans une certaine mesure. Il devrait pouvoir influencer les événements selon son désir, voir ce qu'il voulait voir.
Vic abattit un rideau de hautes herbes fumantes d'humidité et se trouva nez à nez avec une jeune femme.
Sans savoir s'il devait rire ou pleurer, il sentit qu'une de ces deux réactions s'imposait. La femme avait une beauté toute naturelle et portait, avec le même naturel, un corsage rayé et un short ultra-court.
— « Grâce au ciel, je vous retrouve ! » haleta-t-elle. « La base est détruite. Les tarentules géantes sont en train de dévorer les…»
— « Pour l'amour du ciel, » s'écria Vic. « Laisse tomber les tarentules géantes. Tout ce fatras est peut-être dans le scénario, mais tu n'es pas obligée de me le ressortir, n'est-ce pas ? »
— « J'aurais dû le savoir, » dit-elle amèrement. « Tu vas dire que tout est de ma faute. »
— « Rien n'est de ta faute. Je t'ai juste demandé de laisser tomber les tarentules géantes. Comment t'appelles-tu, cette fois-ci ? »
— « Cette fois-ci ? » s'exclama-t-elle.
— « Aucune importance. Dis-moi ton nom. »
— « Carol Jones. Je…»
Il lui prit le bras. Elle haletait toujours, et tremblait de peur. Il ne lui en voulait pas. Les tarentules géantes n'existaient pas, bien sûr, mais leur seule idée la terrifiait, comme une femme peut être terrorisée par une souris imaginaire.
— « Ne t'inquiète donc pas pour les tarentules, » dit-il d'un ton apaisant. « Si elles te poursuivent, je me gonflerai, et je soufflerai et je les ferai disparaître comme le grand méchant loup les maisons des petits cochons. Il faut que nous nous expliquions, toi et moi. »
Elle était confuse, effrayée, et prête à s'enfuir.
— « En assumant que nous sommes sains d'esprit, » dit Vic, « ou tout au moins que je le suis, mon cœur (pour toi, je ne sais pas : tu as l'air réelle, mais rien ne me garantit que tu sois normale), nous devrions nous sortir de ce… ce…»
Il se tut.
« Voilà le hic, » médita-t-il. « Qu'est-ce que c'est ? Pas un rêve. Non, pas un rêve. »
Il regarda son corsage rayé. Il pouvait voir les raies bleues, la matière du tissu, les fils eux-mêmes, les mouvements qui l'agitaient. Ça ne ressemblait pas à un rêve. Pas à un rêve ordinaire.
— « Supposons…» murmura-t-il, « suppose que ce soit quelqu'un, qui nous inflige tout cela ? »
Carol changea soudain de contenance. Une lumière semblait se faire en elle.
— « Oui, » dit-elle lentement. « Supposons que ce soit quelqu'un. Il devrait y avoir une raison à cela, n'est-ce pas ? »
— « Ça semble logique, » convint Vic.
— « Une punition ? » suggéra-t-elle. « Une punition pour une faute que nous aurions commise ? »
— « Pour la nième fois, » dit Vic exaspéré, « ça, c'est oublié, en ce qui me concerne. Tu as fait une bourde, très bien. J'en ai fait aussi, et plus que toi, parce que j'ai vécu quelques années de plus que toi. Tu n'as commis que cette seule erreur pendant tout le voyage, et c'est juste notre guigne…»
Sa voix s'éteignit, car il ne savait plus de quoi il parlait. Carol non plus.
Il y eut un silence. Carol commença à fredonner doucement : « N'est-ce plus ma main », de Manon.
— « Quoi d'autre, si ce n'est pas une punition ? » dit Vic.
— « Une cure ? »
— « Mais nous venons de décider que nous sommes sains d'esprit. »
— « Alors une espèce de test ? » dit-elle, pensive.
— « Qui nous testerait ? À quel sujet, dans quel but ? »
Cela les arrêta. L'idée du test était certainement plus vraisemblable que les autres. Mais qui les testait, où, pourquoi, dans quel but, et comment ?
Ils ne pouvaient même pas émettre une hypothèse.
— « Je ne pense pas que ce soit prudent de nous attarder ici, » dit-elle, mal à l'aise, « J'ai le pressentiment que cette fois quelque chose va nous arriver. Quelque chose de désagréable…»
Tout en parlant, elle tourna la tête.
Elle hurla.
Suivant son regard, Vic sentit la panique le gagner, mais il prit le bras de Carol, et ne la laissa pas s'enfuir. Elle se débattit. Il la prit dans ses bras, et lui fit faire face à l'horreur qui approchait.
— « Carol, » dit-il d'un ton pressant. « Elles ne sont pas vraiment là. C'est impossible. Regarde encore. Essaye de…»
Une idée le frappa.
— « Carol, de quelle couleur sont-elles ? » exigea-t-il.
— « Marron, » murmura-t-elle.
— « Moi, je les vois bleues ! » s'exclama-t-il. « Combien y en a-t-il ? »
— « Quatre. »
— « Sept, » corrigea-t-il. « Quelle grandeur ? »
— « Trois mètres. »
— « Les miennes en ont au moins quatre. Carol, nous sommes dans le même rêve, mais nous ne pouvons même pas nous mettre d'accord. Tu comprends ? C'est…»
— « Mais elles approchent toujours, » cria Carol, se débattant frénétiquement.
— « Mais non, » dit Vic. « Pas vraiment. Elles ne peuvent pas nous faire de mal, Carol. »
Il avait tort. Les tarentules géantes les déchiquetèrent et ne firent d'eux qu'une bouchée.
*
* *
Le rideau se leva une fois de plus. Cette fois-ci, il était emmitouflé dans une tenue polaire, se frayant un chemin dans la neige.
Chaque fois, il en savait un peu plus. Vaguement, il réalisait qu'il s'agissait d'un épisode fantastique entre beaucoup. Et, sans se souvenir des épisodes précédents, à chaque fois il savait un peu mieux ce qui se passait.
On le testait, on l'examinait, on le traitait. Mais qui, ou pourquoi, il n'en avait toujours aucune idée.
Il savait que chaque situation était irréelle, tout en contenant des éléments réels.
Il aurait bien voulu savoir si les voyages dans l'espace existaient réellement. Si la terre où il vivait n'avait pas conquis l'espace, il devait admettre que c'étaient des hommes, des psychiatres humains qui l'examinaient.
Auquel cas il était certainement fou.
Si, cependant, les hommes s'étaient réellement risqués jusqu'aux planètes, jusqu'aux étoiles, il se pouvait qu'il fût testé, examiné, manipulé, analysé par une race étrangère, capable de le faire rêver sur commande.
Les marchands de sable des enfants de la Terre.
Des êtres intelligents capables de lui faire voir ce qui n'existait pas et de lui faire oublier tout ce qu'ils voulaient qu'il oublie.
Eh bien, si c'était le cas, il y avait peut-être moyen de les battre à leur jeu.
Peut-être pourrait-il contrôler ses rêves.
Au-delà de cette crête, se dit-il, il allait trouver un astronef. Une petite fusée qui l'emmènerait loin de ce monde.
Il se la représenta, la construisit en esprit, tout en continuant sa marche pénible.
Il arriva sur la crête ; et la fusée était là, toute pareille à celle qu'il avait imaginée.
Mais à la place du triomphe, il ne ressentit que le doute et l'incertitude.
Avait-il réellement créé cette fusée, ou avait-il su, d'une façon ou d'une autre, qu'elle ferait partie de ce rêve ?
Comment en être certain ? Il ne pouvait être certain de rien. De toute façon, si c'était un astronef, il ne lui restait qu'une chose à faire.
Il descendait la pente, sans hâte, avec précaution. À mi-chemin de la fusée, il craignit soudain de la voir s'évanouir en fumée, ou garder sa distance de telle façon qu'il ne puisse jamais l'atteindre, si longtemps qu'il marche.
Rien n'arriva. Il atteignit la fusée, grimpa dans le sas, atteignit la salle des commandes et se débarrassa de ses vêtements encombrants.
Sans perdre de temps, il se prépara à décoller. Tout fonctionna à merveille.
Une demi-heure plus tard, il avait décollé.
En deux heures, il était loin dans l'espace.
Ce n'est qu'alors qu'il réalisa la sottise, la futilité de ce qu'il venait de faire.
Une fusée construite en rêve ne pouvait être qu'une fusée de rêve. Il ne pouvait pas plus s'échapper dans cette nef fantôme, qu'un prisonnier retrouver sa liberté en fumant de l'opium.
Même réalisable, le contrôle de ses rêves ne le menait à rien. Ce qu'il devait contrôler, c'était la réalité.
De plus, il y avait la fille. Il ne se rappelait ni son nom ni son visage. Mais il savait qu'elle existait, et qu'elle avait les mêmes ennuis que lui.
Il devait retourner la chercher.
Comment se réveille-t-on d'un rêve particulièrement réaliste ?
Comment trouver la vérité dans un monde que l'on sait être entièrement imaginaire ?
Vic eut une idée. Il fit le tour de l'astronef.
Aucune surprise. Mais quantité de merveilles.
Les tuyaux d'aération, dans cette fusée qui ne connaissait qu'à peine la gravitation, et donc la pesanteur, étaient le produit d'années d'expérience. Le contrôle de l'humidité ambiante n'était pas seulement efficace, mais aussi étonnamment simple, un labyrinthe de condensation auprès duquel le radiateur d'une voiture était gigantesque, maladroit, et terriblement compliqué. Chaque poignée d'amarrage était précisément là où l'on en avait besoin, comme si des générations d'astronautes avaient fourmillé en chute libre par tout le navire, pour les ajuster juste en nombre voulu, et chacune à une place déterminée à un millimètre près.
Personne n'aurait pu imaginer une telle fusée, sans en connaître intimement une autre, toute semblable.
Et aucun être non humain, si intelligent fût-il, n'aurait pu la fabriquer.
Donc, les voyages dans l'espace étaient une réalité, même si cette fusée ne l'était pas. Vic n'avait pu l'imaginer que parce qu'il en avait connu d'autres, réelles celles-là.
Et cela rendait plus vraisemblable la théorie de Vic : qu'il était examiné en rêve par les marchands de sable d'un monde inconnu.
La fille, alors, devait être un autre membre de l'équipage, prisonnière elle aussi des marchands de sable.
Mais que pouvait-il faire ? Tous deux devaient reposer dans un abri pressurisé quelque part, pendant qu'ils croyaient trébucher dans la neige, décoller en astronef et subir toutes ces choses absurdes qui avaient dû se passer dans d'autres rêves fous.
Vic prit la parole :
— « Je pense que vous pouvez m'entendre et me comprendre. Je sais que je suis toujours quelque part à la surface de votre monde. Je sais qu'il y a aussi une fille…»
Il se tut. Rien ne se passa. C'était fou de parler de cette façon, seul dans un astronef, à des millions de kilomètres de tout.
Le plus vraisemblable était que les marchands de sable allaient sonder tout ce que lui et la fille savaient, pour les détruire ensuite, à moins qu'ils ne connaissent un moyen de les mettre en conserve pour un usage ultérieur.
— « Votre race et la mienne n'ont rien en commun, » dit Vic, se demandant si c'était vrai, « Libérez-nous, et nous ne rapporterons chez nous que ce que nous savons de vous maintenant. N'attendez pas que nous en sachions trop pour que vous puissiez nous relâcher. »
La fusée frémit autour de lui. Celui qui contrôlait le rêve se montrait nerveux. À moins que ce ne fût Vic. Il dut maîtriser un malaise passager avant de pouvoir continuer.
Il ne continua pas. Soudain, il comprit que les marchands de sable ne le comprenaient pas. Il parlait dans le vide.
Il avait l'impression de parler au téléphone, quand la ligne est coupée. Inutile d'essayer de communiquer avec les marchands de sable de cette façon.
Cette pensée le mit mal à l'aise. S'il ne pouvait même pas leur parler…
Il voyageait dans un astronef inexistant. Si la fusée n'existait pas, son impression de voyager dans l'espace n'était donc qu'une impression. Pourtant, il se sentait horriblement mal à l'aise à l'idée que la fusée pourrait disparaître tout d'un coup.
Avant toutes choses, il voulait quitter le vide de l'espace, réel ou imaginaire.
Il fit retourner la fusée vers son point de départ. Il ne distinguait aucun détail de la planète qu'il rejoignait. C'était une planète sans visage.
*
* *
Soudain, et sans transition, Vic quitta les rêves. Comment le sut-il ? Il le savait.
Il ne voyait rien, ne sentait rien, n'entendait rien. Un instant atroce, il pensa que la fusée s'était désintégrée, le laissant seul dans l'espace.
Presque en même temps, pourtant, il réalisa que ce qu'il respirait était de l'air. Et, tendant l'oreille, il s'entendit respirer.
Mais, plus important encore, il entendit quelqu'un d'autre respirer.
Comme au cinéma pendant une panne. La bobine de rêves était peut-être terminée, et le projectionniste occupé ailleurs.
Soudain, il réalisa l'importance de cet épisode.
Cette fois, il se rappelait tout ce qui s'était passé. Il se souvenait de la séquence des esclaves, de l'épisode de Brooklyn, de la folle séance vénusienne, du décollage dans la neige. Il savait qu'Allura était Margo et Carol. Il la soupçonnait d'être quelqu'un d'autre, ni Allura, ni Margo, ni Carol.
Il voulut l'appeler par son nom, certain qu'elle était près de lui, dans l'obscurité. Dix secondes frénétiques durant, il essaya de se rappeler son vrai nom.
Puis, ce fut trop tard. Il tourna la tête. La lumière l'attirait, aveuglante.
*
* *
À la fois l'extase et l'agonie, l'extase insupportable et l'agonie intolérable. C'était plus que physique, et pourtant plus animal que ce qu'il pouvait imaginer. La violence en était merveilleuse et terrifiante ; la sérénité en était infiniment désirable, et pourtant douloureuse et brûlante.
C'était l'incomparable prouesse d'une forme de vie se haussant sans cesse vers le spirituel, et l'incroyable échec d'une forme de vie sans cesse rabattue et enchaînée à une vie animale.
C'était le sexe.
Chaque femme qui ait jamais vécu, qui ait jamais été aimée, et chaque homme aussi. C'était chaque naissance, chaque désir de procréer. L'amour le plus noble et le plus haut qui ait jamais existé était là, et le sadisme le plus laid et le plus bas.
Le temps n'existait pas, dans ce rêve. D'un seul coup, en une seule fois, Vic aima toutes les femmes qu'il puisse jamais aimer, toutes les femmes attendant l'amour. Il les possédait toutes : il n'était pas seulement Vic, il était tous les hommes.
Il aimait toutes les femmes, était jaloux de toutes les femmes, et de tous les hommes. Il en hait certains, et d'un coup d'œil aveuglant, il comprit combien l'amour et la haine étaient proches : comme les deux faces d'une médaille.
La perversion était là aussi, la laideur qui rend le normal si beau.
Pourtant, au centre même de ce tourbillon de sexe si fort, si doux, si pur, si douloureux, si pervers, il réalisa, peut-être pour la première fois, combien il y avait plus dans la vie que le sexe. Toute cette vaste scène frénétique n'était qu'un petit coin de la grande fresque. Il l'apprit par la grandeur des choses qu'il y chercha en vain.
Mais ce qui était certain, c'était que cette vision était un chef-d'œuvre, quel qu'en fût l'auteur.
Le rêve s'effaçait déjà ; et il s'efforça de s'y accrocher, de le retenir.
En vain.
*
* *
Quelqu'un chantait « Gretchen am Spinnrade ». Du moins, il en avait l'impression ; mais chaque fois qu'il tendait l'oreille, le son s'évanouissait.
On le déposa doucement sur le sol de la chambre des commandes. Du coin de l'œil, il distingua une activité fiévreuse. Il tourna la tête.
Une fille nue essayait frénétiquement de ne plus l'être. Elle tira sur son pantalon, laissant du même coup sa tunique dériver loin d'elle ; et au geste qu'elle fit pour la rattraper avant qu'elle ne soit emportée jusqu'au coin opposé de la pièce, son pantalon tomba de nouveau ; elle se concentra alors sur le pantalon, laissant aller la tunique pour l'instant.
— « Du calme, » dit Vic. « Moi aussi, je suis en costume d'Adam. »
Cela ne réconforta aucunement Eileen. Elle essaya de lui tourner le dos, ce qui est plutôt difficile en chute libre, et il s'écoula bien trente secondes avant qu'elle ne s'organise, rattrape sa tunique et arrive à l'enfiler.
Vic avait eu tout le temps nécessaire pour sentir la différence entre les rêves et la réalité.
Moins embarrassé qu'elle par sa nudité, il se retourna avec précaution, et enfila ses vêtements.
— « Ils nous ont laissés partir, » dit-il émerveillé. « Ils nous ont laissés partir ! »
Eileen, habillée maintenant, pouvait concentrer son attention sur autre chose.
— « Peut-être, » dit-elle. « Voyons s'il reste du carburant et si les moteurs marchent. »
Vic voyait bien maintenant qu'Eileen était Allura, et Margo, et Carol. Elle n'était pas aussi jolie qu'elles, mais pouvait l'être si elle essayait.
Il se souvenait des rêves. Il n'avait pas aperçu un centimètre carré de la planète, ni aucun de ses habitants.
— « Nous avons dû passer leur examen, » murmura-t-il. « À moins que nous ayons si pitoyablement échoué qu'ils nous aient trouvés inoffensifs. De quoi te souviens-tu, Eileen ? »
— « Je me souviens que l'accident était de ma faute, » dit-elle d'un ton lugubre. « Je l'avais oublié, pour un temps. »
— « Bon Dieu, y a pas de chance que tu l'oublies ! » dit Vic. « Ce que tu as, c'est un complexe de culpabilité. Laisse tomber, veux-tu ? Il y a des choses plus importantes. »
— « Plus importantes ? » demanda-t-elle, incrédule.
— « Bien sûr ; et avant de discuter ce qui nous est arrivé, il y a une question très importante qui demande à être réglée. »
Il la prit dans ses bras.
Il s'était attendu à voir Margo se débattre, mais elle ne l'avait pas fait. Eileen ne se débattit pas non plus. Elle naquit à la vie entre ses bras, comme Galatée.
Plus tard, ils inspectèrent l'astronef. Ils le trouvèrent effroyablement endommagé, ce qui n'avait rien pour les surprendre, et réparé de façon à être aussi bon que neuf.
Aussi bon que neuf ; pas meilleur. Tout avait été restauré dans son état primitif. Ce qui suggérait que les Marchands de Sable étaient de bons mécaniciens, mais pas nécessairement des savants hors pair.
— « Quand j'esquinte une fusée, » dit Eileen, « je le fais vraiment à fond. Il devait en rester à peu près 0,5 %, après l'atterrissage. »
Vic la reprit dans ses bras. Obscurément, il devinait les bases de son complexe de culpabilité.
Le mieux que Vic pouvait faire pour elle était de la convaincre qu'elle était née pour être une femme désirable et non un matelot super-efficient.
— « Je n'arrive pas à comprendre ces tests, » dit Vic d'un ton rêveur, tenant toujours Eileen entre ses bras. « Du diable si je sais ce que nos réactions à ces situations folles ont bien pu leur apprendre. Nous n'y jouions pas un rôle important, nous n'avions pas de choix à faire…»
— « Encore faudrait-il que ce soient des tests, » dit Eileen sans chercher à se dégager, « et, de toute façon, nous ne connaissons rien aux mœurs d'une autre race. Leurs tests n'en ont pas forcément l'air pour nous. »
— « C'est vrai, » dit Vic. « Et ils n'en avaient vraiment pas l'air. C'étaient des situations, soit, mais fixes, presque statiques. Pas de problèmes à résoudre. »
Tout en parlant, ils revinrent au poste de commande.
Dès l'entrée. Vic aperçut quelque chose qu'ils avaient négligé : un morceau de papier sur le mur. Il le prit.
C'était de l'anglais, tracé d'une écriture étrange, mais lisible.
Le parcourant rapidement, Vic le déchiffra d'un ton monotone :
— « Nous ne voulions pas nous laisser voir… nous ne sommes pas de la même race, bien que vous puissiez nous dire humanoïdes… nous ne pensions pas que nos deux races aient beaucoup en commun, mais nous avions tort. Nos processus mentaux se sont révélés semblables…»
Il cessa de lire à voix haute, pour pouvoir parcourir la note plus rapidement.
— « Qu'est-ce qu'ils disent ? » supplia Eileen avec impatience.
— « Il semble qu'ils aient toujours eu l'intention de réparer notre fusée et de nous renvoyer comme ils l'ont fait, » dit Vic, essayant d'en lire plus, tout en résumant ce qui précédait. « Ils n'ont pas eu à nous faire passer de tests ; ils possèdent un moyen de noter tout ce qui se trouve dans un esprit, tout comme nous procédons à nos enregistrements sur disques. Nous étions inconscients quand ils nous ont trouvés, et ils nous ont aidés à le rester pendant qu'ils procédaient aux réparations…»
— « Tu veux dire… qu'ils n'ont jamais eu l'intention de nous faire rêver ? Mais c'est impossible. »
— « Nous tenons à nous excuser de notre erreur involontaire… Nous aurions dû nous douter que vos esprits seraient capables de transformer nos concepts, dont nous étions sûrs que vous ne sauriez les comprendre, en d'autres, plus familiers…»
Il se tut de nouveau, pour continuer de lire.
Et soudain, il éclata de rire.
— « Oui, ils ont bien raison : nos races sont différentes, » dit-il. « Ils n'ont jamais eu l'idée de nous détruire, ou de nous causer du tort. Ils nous ont simplement mis à l'abri pendant qu'ils réparaient la fusée. Cette lettre contient des excuses pour les tortures morales que nous avons pu souffrir. »
— « Les rêves ? »
— « Ce n'étaient pas des rêves. »
— « Quoi alors ? »
— « Pendant qu'ils réparaient notre fusée, » dit lentement Vic, « ils nous ont laissés dans une… euh…» Il relut la phrase : «… dans ce que vous appelleriez une galerie de tableaux. »
(Traduit par Catherine.)