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Il était arrivé quelque chose - DINO BUZZATI

Il était arrivé quelque chose - DINO BUZZATI 
  
L'écrivain italien Dino Buzzati, l'auteur du « Désert des Tartares », a écrit de nombreuses nouvelles se rattachant au fantastique ou plus souvent à l'étrange. Trente-deux de ces nouvelles, réunies en recueil, ont récemment paru en France sous le titre « L'écroulement de la Baliverna » (Laffont). En rendant compte dans notre numéro 78 de ce recueil, notre collaborateur Roland Stragliati le jugeait inégal, mais soulignait qu'une bonne partie au moins des récits étaient remarquables. C'est dans cette catégorie que, sans hésiter, nous classerons « Il était arrivé quelque chose », que nous reproduisons grâce à la courtoisie des éditions Robert Laffont.  
Comme beaucoup d'œuvres de l'auteur, ce conte est assez nettement inspiré de Kafka. Mais en quelques pages, Buzzati a su y développer une atmosphère personnelle. Son art dans les meilleurs cas est de parvenir, par les moyens les plus simples, à faire naître un malaise singulier, moins à base d'effroi que d'incertitude. C'est ce malaise, et ce doute final amplifiant démesurément la résonance d'un thème, que nous retrouvons ici.  
    
Le train n'avait encore parcouru que quelques kilomètres (et le trajet était long, nous ne nous arrêterions pas avant le lointain terminus, au terme d'un voyage de dix heures) quand, à un passage à niveau, j'aperçus par la vitre du compartiment une jeune femme. Ce fut par hasard, j'aurais pu aussi bien regarder tout autre chose, mais mon regard tomba sur elle qui n'était point belle, ni même d'allure plaisante, n'avait enfin rien d'extraordinaire, et je me demande vraiment pourquoi je me mis à la fixer. Elle s'était évidemment appuyée contre la barrière pour jouir de la vue de ce train express, rapide du Nord, symbole, aux yeux des populations ignares, de milliards, de vie facile, d'aventures, de splendides valises de cuir, de célébrités, de stars de cinéma, merveilleux spectacle revenant une fois par jour et, par surcroît, absolument gratuit. 
Toutefois quand le train passa devant elle, elle ne regardait pas dans notre direction (et pourtant elle devait être là, à nous guetter, depuis longtemps) mais, la tête tournée en arrière, elle prêtait toute son attention à un homme, qui arrivait en courant du bout de la route et hurlait quelque chose qu'évidemment nous ne pouvions entendre : comme s'il accourait en toute hâte pour avertir cette femme d'un péril. Cela ne dura qu'un instant. Le train les dépassa en un éclair, et je me demandai quel malheur cet homme avait pu annoncer à la jeune femme venue nous contempler. J'allais m'endormir, au rythme berceur du train, quand tout à fait par hasard – il ne pouvait certainement s'agir que d'une simple coïncidence – je notai qu'un paysan, debout sur un petit mur, appelait, appelait de toutes ses forces en direction de la campagne, les mains en porte-voix. Cette fois encore cela ne dura que l'espace d'un éclair, car l'express continuait sa course, mais j'eus le temps d'apercevoir six ou sept personnes qui accouraient à travers les champs, les labours, sans s'occuper des dégâts qu'ils pouvaient causer. Ce devait être pour une chose d'importance. Ils venaient de toutes les directions, l'un d'une maison, l'autre débouchant d'une haie, ou d'une vigne, de n'importe où, se dirigeant tous vers le petit mur sur lequel le jeune homme qui criait était grimpé. Ils couraient, Dieu qu'ils couraient ! semblant épouvantés par quelque avertissement soudain qui les intriguait fort, leur enlevant toute tranquillité. Mais je n'eus pas le temps de me livrer à d'autres observations. 
Comme c'est étrange, pensai-je, en si peu de kilomètres voici déjà deux exemples de gens recevant une nouvelle imprévue… C'est du moins ce que j'en concluais. Désormais, vaguement troublé, je scrutais la campagne, les routes, les villages, les fermes, en proie à l'inquiétude et à de mauvais pressentiments. 
Peut-être mon état d'esprit en était-il la cause, mais il me sembla, plus j'observais les gens – paysans, charrons, etc. – qu'une animation inhabituelle les envahissait tous. Enfin, pourquoi ces va-et-vient dans les cours, ces femmes affolées, ces chariots, ce bétail ? Nous allions trop vite pour que je pusse bien distinguer tout, mais j'aurais juré que c'était vraiment partout la même chose. Peut-être y avait-il dans cette région une fête ? Peut-être les gens se préparaient-ils à se rendre au marché ? Mais le train roulait, et les campagnes étaient toutes la proie d'une sorte de ferment, à en juger par la confusion qui y régnait. Alors je fis le rapport entre cette femme au passage à niveau, le jeune homme sur son mur, le va-et-vient des paysans : il était arrivé quelque chose et nous autres, dans le train, n'en savions rien. 
Je contemplai mes compagnons de voyage, ceux du compartiment, ceux qui restaient debout dans le corridor. Ils ne s'étaient aperçus de rien. Ils semblaient tranquilles et une dame en face de moi, d'environ soixante ans, s'apprêtait à s'endormir. Ou bien soupçonnaient-ils quelque chose malgré tout ? Oui, oui, eux aussi étaient inquiets, les uns comme les autres, et ils n'osaient parler. Je pus les surprendre plus d'une fois qui tournaient brusquement les yeux, regardant avec crainte le paysage. Et plus spécialement la dame qui somnolait, elle justement, lorgnait entre ses paupières mi-closes pour aussitôt me surveiller, comme si je l'avais démasquée. De quoi avaient-ils donc peur ?  
Naples. En général le train s'arrête. Mais pas notre express ce jour-là. Les vieilles maisons filaient au ras de nos regards, et dans les obscures venelles nous pouvions voir des fenêtres illuminées, et des hommes et des femmes dans leurs chambres – l'espace d'un instant – occupés à faire leurs bagages, à boucler des valises, à ce qu'il me semblait. Mais ne me trompais-je point, n'était-ce pas seulement une fantaisie de mon imagination ? 
Ils se préparaient à partir. Pour quelle destination ? Ce n'était donc pas une heureuse nouvelle qui embrasait les villes et les campagnes. Une menace, un péril, l'avertissement d'un immense malheur. Puis je me disais : bah, si c'était tellement grave, on aurait aussi fait arrêter le train ; et le train roulait au contraire sans accroc, toujours avec les signaux de voie libre, des aiguillages parfaits, comme pour un voyage inaugural. 
Un jeune homme à côté de moi s'était levé, semblant vouloir se dégourdir un peu. En fait, il cherchait à mieux voir et se penchait au-dessus de moi pour être plus près de la vitre. Dehors, c'était la campagne, le soleil, les routes blanches, et sur ces routes des camions, des attelages, des groupes de gens à pied, de longues caravanes semblables à celles qui se rendent vers les sanctuaires pour honorer un saint. Mais c'était une vraie foule, de plus en plus compacte à mesure que le train montait au nord. Et tous se dirigeaient dans la même direction, courant vers le sud, fuyant un péril au-devant duquel nous nous rendions à une vitesse folle, nous précipitant vers la guerre, la révolution, l'épidémie, le feu, quoi d'autre encore ? Nous ne le saurions que dans cinq heures, à l'arrivée, et ce serait sans doute trop tard alors. 
Personne ne pipait mot. Personne ne voulait être le premier à céder. Évidemment, chacun de nous doutait de soi, comme je doutais moi-même, dans l'incertitude que toute cette panique fût réelle, et qu'il n'y eût là simplement une idée folle, une hallucination, une de ces pensées absurdes qui se présentent parfois dans le train quand on est un peu las. La dame devant moi poussa un soupir, feignant de s'éveiller, et leva son regard machinalement, comme par hasard, pour le fixer sur la poignée du signal d'alarme. Tous nous regardions ce signal, avec la même pensée. Mais personne ne parla, n'eut l'audace de rompre le silence, ou n'osa simplement demander aux autres s'ils n'avaient pas remarqué par hasard, au-dehors, quelque chose d'alarmant. 
Les routes grouillaient maintenant de voitures et de gens, qui se dirigeaient tous vers le sud. Les trains que nous croisions étaient bondés. Et les regards de ceux qui nous voyaient passer, volant avec tant de hâte vers le nord, étaient emplis de stupeur. Les gares étaient combles. Des gens nous faisaient des signes, d'autres nous, hurlaient des phrases dont nous ne percevions que les voyelles, comme des échos en montagne. 
La dame en face de moi se mit à me regarder fixement. Ses mains surchargées de bijoux tripotaient nerveusement un petit mouchoir, tandis qu'elle me suppliait du regard : si vous pouviez parler, à la fin, si vous pouviez nous sortir de ce silence, poser ces questions que nous attendons tous comme une délivrance et dont nul n'ose assumer la responsabilité. 
On arrivait aux abords d'une nouvelle ville. Le train ayant ralenti un peu pour pénétrer en gare, deux ou trois personnes se levèrent, ne pouvant résister à l'espoir que le mécanicien s'arrêtât. Mais nous passâmes, tourbillon tapageur, au long des quais où une foule inquiète se pressait, haletante, vers un convoi en partance, au milieu d'amoncellements cahotiques de bagages. Un petit garçon tenta de courir après nous avec un paquet de journaux, en brandissant un dont un large titre en noir barrait toute la première page. Alors, d'un geste vif, la dame en face de moi se pencha à la fenêtre, parvint à saisir la feuille au vol, mais le vent de la course la lui arracha. Il ne lui resta qu'un morceau entre les doigts. Ses mains se mirent à trembler tandis qu'elle le dépliait. C'était un petit morceau triangulaire. On y lisait l'en-tête et seulement trois lettres du large titre. « ION », voilà ce qu'on lisait. Rien d'autre. Et sur le revers de la feuille, des bribes d'une chronique inintéressante. 
En silence, la dame leva un peu le bout de papier, pour bien nous le faire voir à tous. Mais nous avions déjà tous regardé. Et chacun de nous feignit de n'y attacher aucune importance. Plus grandissait la peur, plus nous nous obligions les uns les autres à cette retenue. Nous courions comme des fous vers une chose qui finissait en ion, une chose qui devait être épouvantable puisqu'en apprenant la nouvelle des populations entières s'étaient immédiatement enfuies. Un fait nouveau, terrible, immense, avait brisé la vie de notre pays ; hommes et femmes ne pensaient qu'à se sauver, abandonnant leurs maisons, leur travail, leurs affaires, tout enfin, tandis que notre train maudit roulait avec la régularité d'un chronomètre, comme ces soldats honnêtes qui remontent le cours de l'armée en déroute, pour rejoindre leur tranchée où déjà l'ennemi installe son bivouac. Et par décence, à cause d'une misérable dignité humaine, aucun de nous n'avait le courage de réagir. 
Il restait deux heures encore. Dans deux heures, à l'arrivée, nous pourrions connaître le sort qui nous était réservé. Deux heures, une heure et demie, une heure, le crépuscule tombait déjà. Nous pouvions voir au loin les lumières de cette ville tant désirée, et leur splendeur immobile, réverbérant dans le ciel un halo jaunâtre, nous rendit un peu de courage. La locomotive émit son sifflement, les roues crissèrent sur le labyrinthe des aiguillages. La gare, l'arc noir des marquises, les lampadaires, les affiches, tout était à sa place comme à l'accoutumée. 
Mais, quelle horreur ! L'express continuait sa route et je m'aperçus que la gare était déserte, les quais et les salles vides et nus, sans aucun visage humain, où que je portasse mes regards. Le train s'arrêta enfin. Tout le monde se mit à dévaler les marchepieds, en direction de la sortie, à la recherche de nos semblables. Je crus apercevoir, dans l'angle à droite au fond, un peu dans là pénombre, un employé avec sa petite casquette qui s'éclipsait par une porte, terrorisé. Qu'était-il advenu ? N'allions-nous plus trouver dans la ville âme qui vive ? Jusqu'à ce que la voix d'une femme, haut perchée, violente comme un coup de feu, nous donnât un frisson. « Au secours ! au secours ! » hurlait-elle, et le cri se répercuta sous la voûte vitrée, avec cette sonorité vide propre aux lieux à jamais abandonnés.

(c) Bernard SAUNIER - Créé à l'aide de Populus.
Modifié en dernier lieu le 16.05.2024
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