La proie par CHRISTOPHER WOOD
La proie par CHRISTOPHER WOOD
Il existe une variété de contes de terreur sobres, glacés, dépourvus de tout effet, calculés pour agir directement sur l’esprit du lecteur sans flatter son imagination. Gageons qu’après avoir lu celui-ci, les plus enthousiastes amis des chats (au nombre desquels nous nous comptons !) regarderont le leur d’un œil plein d’inquiétude…
CELA ne me regardait vraiment pas. Je n’avais fait que louer la villa voisine pour l’été. Mrs. Dalrymple n’était rien pour moi. Je ne vois pas ce que j’aurais pu faire de plus. Et pourtant je m’en veux…
Je ne m’aperçus de sa présence que quelques jours après mon arrivée. « Minet, minet, minet…» entendis-je glapir d’une voix suraiguë dans le jardin d’à côté. Je regardai par la fenêtre et vis un superbe chat noir absorbé par l’affût d’un oiseau sur ma pelouse. « Minet, minet, minet…» Le chat sans doute y était habitué, mais moi je trouvais le bruit pénible à entendre. Je descendis dans le jardin. « Viens, minet, » dis-je en l’approchant avec l’intention de le rendre à sa propriétaire une fois les relations amicales établies. Mais le chat m’évita et, comme je le suivais, se retourna, me considéra délibérément, souleva une patte menaçante et cracha doucement en me voyant approcher. Je m’arrêtai. Ses yeux lumineux étaient plus que dédaigneux.
— « Il ne faut pas faire attention à Tom, » fit une voix de l’autre côté de la haie. « Il m’adore… c’est un minet délicieux. Mais il n’aime pas les étrangers. »
Je me retournai. Un petit visage sérieux avec de grands yeux sombres, un teint quelque peu maladif, et des cheveux gris désordonnés me contemplait par-dessus la haie. La femme était petite, habillée sévèrement, et portait n’importe quel âge à partir de la cinquantaine.
— « Je m’appelle Hester Dalrymple, » continua-t-elle. « Mrs. Dalrymple. Je vois que nous allons être voisine. »
— « Enchanté, » dis-je. « Je m’appelle Pringle. »
— « Comme c’est gentil ! Il faudra vraiment que vous veniez goûter un de ces jours pour être convenablement présenté à Tom. Voyons… voulez-vous jeudi ? »
Je frémis. Je murmurai de vagues excuses.
— « Bon… alors vendredi ? »
Il n’y avait rien à faire. Bien contre mon gré, je promis de prendre le thé avec Mrs. Dalrymple… et Tom.
À quatre heures et demie précises, je me présentai, désireux d’en finir au plus tôt. Le salon était spacieux et comportait des portes-fenêtres donnant sur le jardin. Bien que trop rempli de bric-à-brac, il était confortable. Près de la fenêtre il y avait un piano à queue (« le coin préféré de Tom »). Le thé était excellent. Bientôt le chat arriva du jardin.
— « Ah ! voilà Tom. Viens, minet, que je te présente à Mr. Pringle. »
Ainsi sollicité, le chat fut assez aimable pour me permettre de le caresser. Mrs. Dalrymple était ravie. « Vous voyez, vous lui êtes sympathique, » dit-elle en lui versant un grand bol de lait.
Le goûter se termina et Mrs. Dalrymple me racontait par le détail l’histoire de sa vie tandis que j’attendais l’occasion de m’enfuir.
— « Oui, je ne sais pas ce que j’aurais fait lorsque j’ai perdu mon cher époux si je n’avais eu Tom. C’est un merveilleux compagnon ! Viens, minet, viens t’asseoir sur les genoux de maman. »
Elle s’empara du chat qui était sur le piano et le posa sur ses genoux, « Cher petit minet, » dit-elle en l’embrassant. Il fronça le nez de dégoût et descendit. « Voyons, minet, ne sois pas méchant. Il fait l’intéressant parce que vous êtes là. » Elle ressaisit l’animal et le maintint fermement sur ses genoux.
Il était temps que je parte. J’allais me lever lorsque mon attention fut retenue par l’attitude bizarre de mon hôtesse. Elle émettait de curieux gémissements et semblait avoir oublié ma présence. Elle se balançait sur sa chaise en embrassant le chat sur le sommet de la tête avec une curieuse précision comme pour dire : « Minet, tu es à moi, à moi, à moi. » Le chat faisait des yeux furieux et essayait de toutes ses forces de s’échapper. Ensuite, il se mit à se plaindre d’une étrange voix féline, puis à gronder. Je restai fasciné mais mal à l’aise. Quelque chose se préparait ; j’avais eu la même impression avant un orage. La vieille femme débordait d’un amour d’obsédée, presque de sadique même, tandis que le chat devenait de plus en plus outragé et furieux de seconde en seconde. La tension augmentait et Mrs. Dalrymple se penchait toujours plus sur le chat jusqu’à ce que, après une caresse qui transforma ses miaulements en hurlements, elle se redressât soudain, se passât la main dans les cheveux, et dît, comme quelqu’un qui se réveille d’un rêve : « Qu’est-ce que c’est ? »
Le chat s’enfuit dans le jardin. Moi aussi, j’en avais plus qu’assez.
— « Eh bien, il faut que je m’en aille ! J’ai passé un moment délicieux, » dis-je en me promettant de ne jamais remettre les pieds dans la maison.
J’aurais bientôt oublié Mrs. Dalrymple et son chat si ce n’avait été la regrettable habitude de ce dernier de percer la nuit de ses miaulements. Une des portes-fenêtres restait entrouverte afin qu’il pût entrer et sortir à sa guise. La fenêtre de ma chambre donnait dans cette direction. Il semblait plaire à cette bête d’attendre que je dorme pour me réveiller d’un hurlement prolongé. Je gardais un broc d’eau à portée de la main, mais Tom était toujours trop rapide pour moi.
Une semaine après le goûter, Mrs. Dalrymple et moi nous rencontrâmes.
— « Bonjour ! Dites-moi, Tom a une capacité pulmonaire remarquable ! »
— « Oh ! Il vous fait des sérénades ? Enfin, un chat est un chat, » minauda-t-elle. « Je regrette beaucoup qu’il vous ait dérangé. C’est bien la première fois qu’on s’en plaint. »
— « Peut-être ne lui suis-je pas sympathique ? »
— « Quelle sottise ! Bien sûr que si. J’ai le sommeil profond…» Elle hésita et s’interrompit.
Je lui pardonnai. « N’y pensez plus. Mais si je puis me permettre, vous avez la mine de quelqu’un qui ne dort pas très bien. »
— « J’ai eu quelques cauchemars dernièrement. C’est bien rare chez moi. Je devrais peut-être rendre visite à ce cher docteur Orcutt. »
Pendant quelques nuits, les glapissements de Tom me furent épargnés, et je dormis merveilleusement bien. Puis une nuit, je fus arraché du sommeil par une plainte stridente, ou tout au moins, il me le sembla, car le bruit ne fut pas répété. Irrité et nerveux, incapable de me rendormir, je décidais de faire un tour sur la pelouse. J’enfilai une robe de chambre et descendis dans le jardin. J’allai jusqu’à la haie et regardai par-dessus. Des nuages qui voilaient la lune rendaient la vision difficile, et je me détournais lorsque mon œil fut attiré par un mouvement sur la pelouse de Mrs. Dalrymple. Je pus distinguer Tom qui rentrait en courant dans son salon, apparemment à la poursuite d’une proie quelconque. J’entendis de vagues bruits de course et Tom qui miaulait avec une satisfaction mielleuse. J’aurais donné beaucoup pour gâcher son plaisir. Lorsque j’entendis un faible petit cri de détresse, je dus me retenir pour ne pas voler au secours de la petite bête que Tom martyrisait. Heureusement, il n’y eut bientôt plus rien, et après quelques instants, je remontai me coucher, me sentant curieusement inutile.
L’après-midi suivant, Mrs. Dalrymple travaillait dans son jardin et à ma propre surprise, je lui adressai la parole.
— « Comment allez-vous, Mrs. Dalrymple ? J’espère que vous n’avez plus eu de ces cauchemars. »
— « Merci, » dit-elle en s’approchant de moi. Elle boitait légèrement « À vrai dire, j’en ai eu un particulièrement mauvais hier soir. Mais j’ai été voir le médecin ce matin, et il pense que je suis simplement un peu surmenée. Il m’a donné un remontant. »
— « Voilà qui devrait vous remettre d’aplomb. Mais vous vous êtes blessée à la jambe. »
— « Ce n’est rien, merci ; c’est juste un bleu. Mais je ne sais pas comment c’est arrivé. Peut-être que j’ai recommencé à marcher en dormant. Étant enfant, cela m’arrivait. »
Après quelques instants, je m’excusai. J’ai horreur de trop me frotter aux gens. Mais je commençais à me faire du souci au sujet de Mrs. Dalrymple.
Quelques nuits plus tard, la lune était pleine, et il faisait si beau dans le jardin que je m’y promenai un long moment avant de me coucher. Agréablement las, je m’endormis immédiatement. Mais quelques instants plus tard – à ce qu’il me sembla, bien que ma montre m’apprît que je dormais depuis plus de trois heures – je me trouvai complètement éveillé, tous les sens en alerte. Quelque chose n’allait pas. Je ne savais pas quoi, mais j’avais l’impression d’avoir été « appelé » de façon pressante. Ce n’était pas agréable. Cette fois-ci, il ne s’agissait pas de la voix de Tom. Il me semblait plutôt qu’un signal d’alarme avait retenti. Je tremblai légèrement, bien que la nuit fût douce. On n’entendait rien ; et tout dans ma chambre semblait normal.
Un réflexe irraisonné me poussa à descendre, à saisir une lampe électrique et à sortir. Comme j’atteignais le jardin, j’entendis ce qui me parut être un cri de détresse venant de la maison voisine. Comme cette voix ne me sembla pas être tout à fait animale, je m’aventurai sur la pointe des pieds jusqu’aux portes-fenêtres du salon de Mrs. Dalrymple. Inquiet, je m’y arrêtai.
J’entendis des bruits de poursuite dans le salon ; puis une sorte de curieux pépiement aigu qui, bien qu’il me parût vaguement familier, ne semblait pourtant pas être le cri d’un oiseau ou d’une souris. J’allais ouvrir la porte et allumer ma lampe, lorsque je me rendis compte que la lune brillait directement dans la pièce. Si j’étais très silencieux j’aurais quelques chances de surprendre Tom à son insu et il y aurait assez de lumière pour voir ce qu’il fabriquait. Je poussai doucement la porte. Je vis Tom très clairement, taquinant un petit animal près du piano. Il lui donnait des tapes assez sèches, mais il ne me sembla pas que ses griffes étaient sorties. Il n’était pas encore disposé à tuer ; il s’amusait trop. Ce spectacle me dégoûta soudain et j’allais intervenir lorsque la petite créature, jusque là dissimulée par Tom, fit une sortie qui l’amena en pleine lumière, et je vis ce que c’était.
Je clignai des yeux puis regardai de nouveau, espérant m’être trompé, car la « créature » était Mrs. Dalrymple. Je fixai son visage car le reste de son corps semblait être habillé entièrement de collants noirs. Elle avait la taille d’une grosse souris. Son visage était on ne peut plus reconnaissable, inondé comme il l’était par le clair de lune. Ses yeux minuscules étaient affolés, et c’était elle qui poussait ces pitoyables petits cris mi-humains. C’était épouvantable et tout à fait incroyable. Il ne s’écoula certainement pas plus de quelques secondes tandis que je restais immobile, comme paralysé. Puis je hurlai et jetai ma lampe à la tête de Tom. Je ne l’atteignis pas, mais il s’enfuit dans le jardin. Mrs. Dalrymple – ou l’espèce de petit monstre qui lui ressemblait – disparut. Je ne la vis pas partir, mais le tapis était maintenant vide.
Je restai hésitant, au bord de la nausée. Puis j’entendis un faible cri venant de l’étage. Je courus en haut. Des gémissements me conduisirent à la chambre et j’ouvris la porte. « Mrs. Dalrymple, » m’écriai-je en réfléchissant rapidement, « êtes-vous bien ? C’est moi, Mr. Pringle. J’ai… j’ai cru entendre un cambrioleur et je suis venu voir. Il n’y avait personne, mais j’ai stupidement laissé tomber ma lampe et j’ai dû vous réveiller et vous effrayer. Je regrette infiniment. »
La respiration de Mrs. Dalrymple était rapide et saccadée comme si elle venait de courir. Elle semblait étourdie. « Ah ! c’est vous, Mr. Pringle. Je viens d’avoir un terrible cauchemar… merci, merci beaucoup… maintenant que je suis réveillée, cela va aller tout à fait bien. »
Je marmonnai quelques paroles confuses et sortis de la pièce presque en courant. J’étais exténué. Je n’aspirai qu’à dormir et oublier.
Le lendemain me trouva complètement désorienté. Il se passait quelque chose de sérieusement anormal dans la maison voisine. Mrs. Dalrymple était même probablement en danger. On devrait prendre des mesures. Mais – et l’objection était de taille – les gens ne rétrécissent pas pour se transformer en souris. Cela n’entrait pas dans mes conceptions. D’ailleurs toute chose touchant le surnaturel m’est extrêmement désagréable.
Plus tard dans la matinée, je vis Mrs. Dalrymple dans son jardin. Je ne fus pas particulièrement rassuré en m’apercevant qu’elle boitait sérieusement.
— « J’allais justement venir demander de vos nouvelles, » lui dis-je.
Comme elle clopinait vers moi, je remarquai avec effroi qu’un grand bleu ornait son bras.
— « Je ne me sens pas très bien, en effet. J’ai sûrement dû marcher en dormant cette nuit. J’attends le médecin d’un moment à l’autre. C’était vraiment très gentil de votre part de venir hier soir. Je pense que ce que vous avez entendu était seulement Tom qui faisait des bêtises. Je suis bien contente que vous m’ayez réveillée. C’est curieux, mais je n’ai pas la moindre idée de quoi il s’agissait dans cet affreux cauchemar. »
— « Peut-être qu’un changement d’air vous ferait du bien. »
— « Oh ! mais je ne peux pas. Je ne pourrais pas laisser Tom tout seul. »
— « Si vous voulez, je pourrais m’en occuper. » Je me mis à songer aux divers moyens de supprimer ce cher Tom.
— « Merci beaucoup. Mais vraiment je ne peux pas. »
Je fis un dernier essai. « Je me suis laissé dire que pour certaines personnes les chats sont malsains. Une question d’allergie à leur fourrure…»
— « Oh ! que vous êtes méchant ! Que ferait ce pauvre Tom sans moi ? Minet, minet, minet…»
Tom arriva en frétillant. Il ronronnait d’une façon écœurante.
— « Ce cher mignon ! » dit-elle. « Voici le docteur. Il faut que je rentre. Veuillez m’excusez. »
C’était une femme stupide et obstinée. Pourquoi m’inquiéterais-je de ce qui pût lui advenir ? Mais au fur et à mesure que passait la journée, je compris que je n’aurais pas l’âme en paix avant d’avoir tenté quelque chose. Comme je marchais de long en large, mon œil fut attiré par le fusil que j’avais amené au cas où une petite partie de chasse sur les collines se serait offerte. Et si je visais un oiseau et que j’atteignisse Tom par mégarde ? Cela ne résoudrait-il pas la question ? Je portai le fusil dehors.
Tom dormait sur la pelouse. Je le visai soigneusement et m’apprêtais à appuyer sur la détente lorsque Mrs. Dalrymple se précipita dans le jardin et s’empara de Tom.
— « Mr. Pringle ! Je ne l’aurais jamais cru possible ! Qu’un homme comme vous puisse même songer à un acte aussi cruel, aussi monstrueux ! Qu’est-ce qui peut vous pousser à tuer une pauvre petite bête innocente qui ne vous a jamais fait le moindre mal ? Tom – mon chéri ! Je remercie le ciel d’être arrivée à temps ! »
C’était plus que je ne pouvais en supporter. Quelle femme parfaitement idiote ! J’effectuai une retraite aussi digne que possible, laissant Mrs. Dalrymple marmonner avec indignation et inonder le chat de baisers.
La situation était impossible. En y réfléchissant, il me sembla que ma propre conduite tenait de l’hystérie. Mais je ne puis trouver d’excuse à ce que je fis ensuite. Je parvins à me persuader que ce que je voulais croire était la vérité, c’est-à-dire que j’avais imaginé tout cela. Je me permis donc de renoncer à ce qui restait de mon bail et de rentrer chez moi.
***
Et cela aurait dû être la fin de l’histoire. Mais environ un an plus tard, alors que le souvenir en était presque effacé, le hasard me fit passer par le village, et la curiosité m’envahit. Qu’était-il arrivé à Mrs. Dalrymple ? Il s’était passé suffisamment de temps pour effacer les ressentiments, et j’étais vraiment curieux. J’arrêtai la voiture et sonnai à la porte.
Elle fut ouverte par une femme fanée d’environ quarante ans.
— « Mrs. Dalrymple est-elle chez elle ? » demandai-je. « Je voulais simplement savoir si elle allait bien. J’ai été son voisin. »
Elle parut un peu ébranlée. « Oh !… je pense que vous n’êtes pas au courant. Mais rentrez donc et je vous expliquerai. » Elle me conduisit vers le salon. « Je suis la cousine de Mrs. Dalrymple, miss Lillywhite, et c’est moi qui habite ici maintenant… avec Tom, bien sûr. Cette pauvre Mrs. Dalrymple est morte subitement il y a quelques mois. »
— « Oh ! je suis désolé, » dis-je. « Je m’appelle Pringle et j’avais loué la villa voisine l’été dernier. J’aimerais savoir ce qui est arrivé. Elle m’était tellement sympathique, » terminai-je avec un manque complet de véracité.
Le salon était exactement comme avant. Et Tom dormait sur le piano.
— « Oui, » continua miss Lillywhite, « quelle tragédie ! On l’a découverte un matin à la porte du salon, raide morte… et pleine d’horribles coups de griffe. »
— « Des coups de griffe, » fis-je. « C’était le chat ? »
— « Dieu du ciel, non ! C’étaient d’énormes coups de griffe… c’était affreux ! Le coroner a dit que cela semblait avoir été fait par un tigre, et un tigre géant par-dessus le marché. C’était évidemment absurde. »
Cela ne me plut pas beaucoup. « Qu’ont-ils décidé en fin de compte ? » demandai-je.
— « On n’a pu trouver aucune explication. Ils ont dû se contenter de dire qu’il n’y avait aucun indice sur la manière dont les blessures avaient été infligées. » Elle se tamponna les yeux avec son mouchoir et renifla légèrement.
— « Que c’est triste ! » dis-je. Je jetai un regard à Tom qui se réveillait. Miss Lillywhite continuait son récit.
— « Vous devez savoir quel attachement elle avait pour Tom. Eh bien, lorsque son testament fut ouvert, on apprit qu’elle avait laissé toute sa fortune à un asile pour chats, sauf une très généreuse provision pour Tom tant qu’il vivra. Et je devais hériter cette maison à condition que je la partage avec lui et le soigne attentivement. »
Le visage de miss Lillywhite était impénétrable. Je n’avais aucune idée de ce qu’elle pensait vraiment de toute cette histoire. Mais pour Tom c’était tout le contraire. Il se leva paresseusement et s’étira. Il semblait prospère et avait pris de l’embonpoint. Il me regardait du haut de son perchoir sur le piano avec l’air de quelqu’un dont les rêves les plus extravagants se sont réalisés. Il n’y avait aucune hostilité dans son regard. Comme adversaire, j’étais parfaitement insignifiant. Il avait tout ce qu’il voulait. Il était propriétaire de la maison, et propriétaire de miss Lillywhite. Au fait, que pensait-il de miss Lillywhite ? Cela ne me regardait pas – absolument pas. Je préférais nettement ne pas le savoir. Il fallait que je m’échappe aussitôt que possible.
— « Merci, miss Lillywhite, » dis-je en me levant, « d’avoir eu l’amabilité de m’accueillir et de me raconter la fin de cette pauvre Mrs. Dalrymple. Je vous en suis très reconnaissant. Je dois partir maintenant. »
Ce n’est que lorsqu’elle tendit le bras pour me serrer la main que la manche de sa robe se retroussa, et que j’aperçus le bleu sur son bras.
(Traduit par Evelyne Georges.)